Mosquée de Fréjus (1930)
Mosquée de Fréjus dans le Var
camp militaire de Caïs
Michel RENARD
En 1930 fut achevée la construction de la mosquée Missiri dans le camp de Fréjus (Var), réplique de la mosquée de Djenné au Mali. L'initiative en reviendrait au capitaine Abdel Kader Madenba, appuyé par le colonel Lame, commandant d'armes, selon un document des archives du Musée des troupes de Marine à Fréjus.
mosquée de Fréjus, 28 avril 2005 © Michel Renard
Si la Mosquée de Paris fut édifiée en style hispano-mauresque, la construction de la "mosquée Missiri" dans le camp de Caïs à Fréjus (Var), est une réplique de la mosquée de Djenné au Mali. Le nom "missiri" provient de la langue bambara et signifie simplement "mosquée", mais a fini par être utilisé comme nom propre.
L'ancienne mosquée de Djenné (Mali) vers 1906
C'est au XIIIe siècle que le souverain de cette cité saharienne, converti à l'islam, fit détruire son palais et édifier à la place une grande mosquée. Construite en banco, argile séchée, elle exige des restaurations régulières dues à la désagrégation par la pluie. Quand l'explorateur René Caillié (1799-1838) la visita en 1828, elle était livrée à des milliers d'hirondelles et en 1834 le chef musulman Sékou Ahmadou en fit bâtir une deuxième à proximité.
En avril 1893, le colonel français Archinard prit Djenné et trouva l'ancienne mosquée dans un état pitoyable. La restauration à l'identique fut, semble-t-il, souhaitée par le marabout Almamy Sonfo, ami de William Ponty, alors gouverneur du Soudan (actuel Mali). Sous le gouvernorat de Ponty (1904-1908), un financement de 18 000 francs fut obtenu, et les travaux durèrent de 1906 à 1907.
C'est ce monument qui servit de référence, en 1928, à l'édification de Fréjus où séjournait des milliers de soldats depuis que Galliéni y avait fait hiverner, dès 1915, les troupes venues de tout l’empire. L'initiative de la mosquée reviendrait au capitaine Abdel Kader Madenba, appuyé par le colonel Lame, commandant d'armes. Celui-ci dut défendre le projet contre les réticences :
«une mosquée, parce qu'elle évoque la pure essence de la doctrine coranique, présente, à certains esprits timorés, la coalition de l'Afrique entière, unie au Proche Orient, marchant contre l'Europe sous l'égide de l'Étendard vert».
En réalité, le raisonnement est d'abord "ethnico-culturel" et prend en compte l'importance numérique des soldats d'Afrique Noire dans les camps de Fréjus et les risques de laisser les Sénégalais «livrés à eux-mêmes, en dehors du temps consacré au service» c'est-à-dire «à des relations douteuses et à des habitudes d'intempérance auxquelles ils sont conviés par des mercantis indésirables».
Il faut donc : «Donner au tirailleur noir l'illusion, la plus fidèle possible, de la matérialisation d'un cadre analogue à celui qu'il a quitté ; qu'il y retrouve, le soir, au cours de palabres interminables, les échos du "tam-tam" se répercutant contre les murs d'une construction familière, évocatrice de visions susceptibles d'adoucir la sensation d'isolement dont il est parfois atteint, le placer, en quelque sorte, dans une ambiance natale. (…) Le choix du modèle de la construction-type ne procédait pas d'une conception de nature confessionnelle [c'est moi qui souligne, MR] ; cependant comme il s'agit d'un monument de caractère religieux, il est évident que les musulmans qui existent parmi les Noirs, ou les Comoriens, pourront se livrer, s'ils le désirent, à l'accomplissement des rites de leur culte».
mosquée de Fréjus, 28 avril 2005 © Michel Renard
De toutes les façons, l'édifice ne se prête pas à un exercice régulier de la pratique religieuse puisqu'il est ouvert à l'intérieur, ne comportant pas de toiture. Mais il existe dans les archives du Sirpa-Ecpa quelques clichés photographiques montrant des soldats en prière devant la Missiri de Fréjus.
Le journal l'Illustration consacra un article, le 2 juin 1928, à l'entreprise des officiers de Tirailleurs sénégalais :
«La future mosquée, de cette couleur rouge, sombre et vive à la fois, qu'avait le Pavillon de l'Afrique occidentale française aux Arts décoratifs, sera faite en agglomérés et en ciment. Ce sera une œuvre collective où chacun apportera sa part. Déjà, le maire de Fréjus a offert une partie des matériaux (sable et pierres) pour rien ; d'autre part, l'aviation maritime s'est chargée des transports ; enfin, la main d'œuvre, abondante et gratuite, sera assurée par la garnison et les coloniaux de là bas. Cependant, les frais demeurent encore considérables. Il faut prévoir, nous écrit le lieutenant-colonel J. Ferrandi, secrétaire général de "La France militaire", une dépense d'environ, 50 000 francs».
Le style de la Missiri de Fréjus est donc semblable au modèle africain, avec ses tours d'angle aux pinacles coniques et ses pointes implantées dans les murs et servant d'échafaudage lors des travaux d'enduisage. Mais le bâtiment est en béton et peint en ocre rouge pour rappeler la teinte du pisé. Il n'a aujourd'hui aucun usage cultuel, est classé monument historique depuis 1987, propriété du ministère de la Défense et placé sous la garde du musée des Troupes de Marine de Fréjus.
Michel Renard
(extrait du livre Histoire de l'islam et des musulmans en France
du Moyen Âge à nos jours, Albin Michel, 2006)
images anciennes
mosquée de Fréjus, carte postale écrite en 1955
images récentes
- reportage du 28 avril 2005, avec mes remerciements au lieutenant-colonel Champeaux, conservateur du Musée des Troupes de Marine
- liens vers le Musée des Troupes de Marine de Fréjus (pas de site officiel)