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islam en France, 1830-1962
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  • Pratiques religieuses musulmanes, Mosquée de Paris, Si Kaddour ben Ghabrit, histoire coloniale et islamophilie, Société des habous, jeûne de ramadan, aïd el-kebir, aïd el-sgheir, cimetière musulman, Sainte-Marguerite
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islam en France, 1830-1962
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22 septembre 2006

soldats français musulmans tombés en Roumanie (1917)

tirailleurs
stèles musulmanes de tirailleurs algériens morts en Roumanie en 1917

 

soldats français musulmans

tombés en Roumanie

(1917)

 

Il existe à Bucarest, dans le cimetère Belu, un carré des soldats français tombés en Roumanie pendant la Première Guerre mondiale. Et parmi eux, se trouvent des combattants algériens dont la sépulture indique la confession. (source iconographique).

Michel Renard

 

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10 septembre 2006

Les Kabyles à Paris vers 1930 (Louis Massignon)

Massignon_tribus_kabyles___Paris
carte établie par Louis Massignon et publiée en 1930 (cliquer dessus pour agrandir)



les Kabyles à Paris vers 1930

Louis MASSIGNON

 

Les cartes de l'immigration kabyle dans la région parisienne (...)   

Nous les avons établies grâce à une enquête personnelle menée sur place en décembre 1929-janvier 1930 ; enquête où M. Adolphe Gérolami, directeur de l'Office des affaires indigènes nord-africaines, 6, rue Lecomte (XVIIe) où il organise les foyers, dispensaires et bureaux de placement nord-africain de Paris, voulut bienMassignon nous permettre de recourir, non seulement à ses services d'investigation et de contrôle, mais à son incomparable expérience personnelle de la question. Les renseignements ainsi fournis étaient classés dans le cadre obligé des circonscriptions administratives (communes mixtes) ; mais nous nous sommes efforcés de remonter, pour faire œuvre d'islamisant, jusqu'aux cellules organiques de la société kabyle, c'est-à-dire aux douars (1) et groupes de douars (ou tribus), afin de déceler les survivances de l'antique esprit de çoff ainsi coulé dans le creuset parisien.

Louis MASSIGNON, "Répartition des Kabyles dans la région parisienne",
Revue des Études Islamiques, 1930, cahier n° I, p. 160-169.

 

 

 

__________________
1 - Pris ici au sens traditionnel, que la loi de 1919 a faussé en Kabylie.



Massignon_r_partition_par_rues
planche II - Repérage par rues des agglomérations kabyles à l'intérieur de Paris
(au 31 décembre 1929 - d'après A. Gérolami)



REI_1930
la Revue des Études Islamiques fondée en 1927 par Louis Massignon,
continuée par Henri Laoust (1962-1983)

 

Massignon_txt_1
(cliquer dessus pour agrandir)

 

Massignon_txt_2
(cliquer dessus pour agrandir)

 

 

Massignon_txt_3
(cliquer dessus pour agrandir)

 

Massignon_txt_4
(cliquer dessus pour agrandir)

 

Massignon_txt_5
(cliquer dessus pour agrandir)

 

Massignon_txt_6
(cliquer dessus pour agrandir)



données recueillies par Michel Renard
(bibliothèque du Centre des Archives d'outre-mer,
CAOM Aix-en-Provence)

 

Nord_AF_ann_es_1920__
travailleurs Nord-Africains en métropole, années 1920 (?)
source : Cité nationale de l'histoire de l'immigration

 

 

 

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9 septembre 2006

Projet de mosquée à Paris du Comité de l'Afrique française, 1895

msq_Paris_1896
projet de mosquée à Paris, Ambroise Baudry, 1895

 

 

Projet de mosquée à Paris

du Comité de l'Afrique française,

1895



Le projet de mosquée à Paris, en 1896, fut une initiative de Comité de l'Afrique française. Ci-dessous, quelques éléments provenant de la presse de l'époque.

Michel Renard

"Pendant que de tous les points de monde, les étrangers viennent en foule à Paris, les musulmans ne se montrent dans cette ville que rarement et en fort petit nombre. Aujourd’hui que la France étend son autorité ou son influence sur de vastes territoires dont les habitants professent l’islamisme, il serait pourtant indispensable dans l’intérêt de tous que des rapports plus fréquents fussent établis entre la métropole et les populations mahométanes."

Déclaration de constitution du Comité pour la construction d’une mosquée à Paris
- Le Matin du 8 mai 1895

Composition :
- le prince d’Arenberg, député de Bourges, président du Comité de l’Afrique française
- Aynard, député, président de la Chambre de commerce de Lyon
- Ambroise Baudry, architecte
- le prince Roland Bonaparte
- Benjamin Constant, membre de l’Institut
- Camille Collas
- Delaunay-Belleville, président de la Chambre de commerce de Paris
- Théophile Delcassé, député
- François Deloncle, député
- Eugène Étienne, vice-président de la Chambre des députés
- de Kerjégu, député
- général de Galiffet
- Guichard, sénateur
- O. Houdas, professeur à l’École des Langues orientales
- de la Martinière, secrétaire général du Comité de l’Afrique française
- lieutenant de vaisseau Mizon
- marquis de Noailles, ambassadeur de France
- G. Patinot
- Poubelle, préfet de la Seine
- Roustan, ambassadeur de France
- Georges Toland, ingénieur en chef du corps des Mines
- Saladin, architecte diplômé du gouvernement
- général Thomassin
- Georges Villain, conseiller municipal de Paris
- Armand Templier

Le Comité a pour adresse le 15 rue de la Ville-l’Évêque qui est le siège du Comité pour l’Afrique française. Son secrétaire est Félix Leseur, membre du conseil supérieur des colonies

Le Matin - 27 juin 1895
Réunion du Comité le matin du 27 juin au 15 rue de la Ville-l’Évêque, présidée par Jules Cambon, gouverneur général de l’Algérie. Constitution du Bureau : président, Jules Cambon ; vice-présidents, Delcassé et le prince Roland Bonaparte ; secrétaire général, Félix Leseur, membre du conseil supérieur des colonies ; trésorier, Armand Templier ; secrétaire-adjoint, M. A.Terrier.
Le Bureau a nommé une commission exécutive composée de : Ambroise Baudry, Benjamin Constant, O. Houdas, de la Martinière, Saladin, Georges Villain.
Allocution de Jules Cambon sur l’importance du rôle de la France dans l’islam ; il s’est étendu sur l’utilité que présentera pour notre action dans le monde mahométan la création à Paris d’un centre musulman.

(source : Archives Nationales, Caran, Paris)




Bull_AFr_fran_aise
bulletin du Comité de l'Afrique française (1895, arch. personnelles)

 

 



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9 septembre 2006

Projet de mosquée à Paris, 1846

revue_de_l_Orient_1843
bulletin de la Société Orientale, 1843

 

 

le projet de mosquée à Paris, 1846

Michel RENARD

 

Le projet de mosquée à Paris, en 1846, a été porté par la Société Orientale.

 

 

 

 

- cf. ma première contribution au livre :

Histoire de l'islam et des musulmans en

France, du Moyen Âge à nos jours

ouvrage collectif dirigé par Mohammed Arkoun

 

- commander l'Histoire de l'islam et des musulmans en France...

 

Michel Renard



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9 septembre 2006

Gratitude, contrôle, accompagnement : le traitement du religieux islamique en métropole, 1914-1950 (Michel Renard)

Msq_Jardin_Colonial
dessin de mosquée pour l'hôpital du Jardin Colonial de Nogent-sur-Marne
(Centre des Archives d'outre-mer, Aix-en-Provence)

 

Gratitude, contrôle, accompagnement :

le traitement

du religieux islamique en métropole

(1914-1950)

Michel RENARD

 

- référence : «Gratitude, contrôle, accompagnement : le traitement du religieux islamique en métropole (1914-1950)», "Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial au XXe siècle", [Bulletin de l'Institut d'histoire du temps présent, IHTP-Cnrs, n° 83, premier semestre 2004 (juin), p. 54-69.

***

Au cours du XIXe siècle, les manifestations du culte musulman en France, symptomatiques d'un rapport nouveau à la question d'Orient et à la conquête coloniale, sont restées marginales [1]. La situation change à partir des années qui précèdent et suivent la Première Guerre mondiale. La venue de segments de population des colonies nord-africaines en métropole inscrit alors les pratiques religieuses musulmanes dans une démographie de masse relative, à travers trois types de contingents migratoires : travailleurs libres, travailleurs coloniaux, militaires [2]. C'est la réaction au déploiement des sentiments religieux de ces Nord-Africains qui engendra des conduites administratives de contrôle dont deux exemples sont étudiés ici : le traitement des rites mortuaires et l'édification d'un bâti cultuel.
L’institution militaire, la première, se préoccupa du respect des rites religieux de l’islam dans ses rangs.

 

Une politique de gratitude : inhumations et sépultures

musulmanes

Une des marques les plus évidentes d'attention volontariste à l'égard du culte musulman fut le projet de stèle funéraire élaboré par le ministère de la Guerre dès l’automne 1914. Jusqu'à la guerre contre la Prusse (1870), les morts étaient enterrés dans des fosses collectives, même si l'identification individuelle était portée sur le monument [3]. L'ampleur des pertes aux premiers mois de la guerre et la volonté d'en atténuer les conséquences dans l'opinion et sur le moral des combattants, conduisirent les autorités à porter un soin extrême aux questions de sépulture. La loi du 2 juillet 1915 institua la mention «Mort pour la France» et celle du 29 décembre 1915, surtout, donna aux militaires «Morts pour la France» pendant la guerre le droit à la sépulture perpétuelle aux frais de l'État [4].

Parallèlement à ces efforts, la direction de la Santé au ministère de la Guerre diffusa, dès octobre 1914, des consignes sur «toutes les formalités qui accompagnent le décès d'un musulman […] en précisant celles qui […] paraissent pouvoir être mises en pratique» [5]. Il est question de prévenir le coreligionnaire d'un soldat musulman sur le point de mourir et incapable de prononcer la shahada l'index levé, afin de se substituer à lui ; de permettre à ceux qui le souhaiteraient de procéder au lavage rituel du corps du défunt ; de respecter l'usage d'une cotonnade lors de la mise en terre [6] ; de faire présider la cérémonie des funérailles par un musulman pour le rite religieux, à défaut se limiter aux honneurs militaires ; de respecter l'orientation de la fosse : «La tombe doit être creusée avec une orientation Sud-Ouest - Nord-Est, de façon que, le corps étant placé du côté droit, le visage soit tourné dans la direction de La Mecque. Cette pratique est réalisable et il y aura lieu de s'y conformer». Enfin, par analogie avec l'usage chrétien, il est prescrit que les tombes des militaires musulmans soient marquées «au moyen de deux stèles en pierre ou en bois, dont le modèle est ci-joint, et qui seront placées : l'une au-dessus de l'endroit où repose la tête, portant l'inscription en arabe (conforme au modèle) qu'il sera facile de faire recopier et le nom du défunt en français ; l'autre, sans inscription, à l'emplacement des pied».

La stèle de tête est constituée d'une planche verticale d'environ soixante centimètres de largeur, couronnée d'une découpe en forme d'arc outrepassé (en fer à cheval) sur laquelle est consignée en graphie arabe la formule épitaphe anonyme : «hadhâ qabr al-mahrûm» (ceci est la tombe du rappelé à Dieu), que doit compléter la mention du nom ; le tout est surmonté d'un croissant et d'une étoile [7].

 

st_le_endroit_envers
dessin de stèles devant servir à l'inhumation
de soldats français de confession musulmane, ministère
de la Guerre, automne 1914 (archives de Paris)

 

st_le_face_hadh_
texte arabe de l'épitaphe inscrite sur la stèle de tête :
hadhâ qabr al-mahrûm
, [ceci est la tombe du rappelé à Dieu]

(archives de Paris)

 

Il faut préciser que ces instructions étaient adressées au gouverneur militaire de Paris et qu'elles devaient concerner : les «médecins-chefs des Hôpitaux militaires et auxiliaires, (les) commandants de Dépôts de convalescents et des Dépôts des troupes d'Afrique». Leur respect sur la ligne de front elle-même a dû, bien évidemment, susciter des difficultés. Mais les déplacements de cette ligne et, surtout, les bombardements de zones ayant pu servir aux sépultures à un moment donné, ont contraint à des réinhumations successives [8] puis aux regroupements en nécropoles. Dans ces dernières, la stèle spécifiant la confession fut de règle.

Le manquement à ces consignes funéraires était l'objet de rétorsions administratives, telle cette mise en garde très explicite du service des affaires algériennes du ministère de l'Intérieur au préfet de police de Paris le 6 avril 1915 : «Il m'a été signalé que l'inhumation d'un certain nombre de nos sujets musulmans, morts au service de la France, a donné lieu à des erreurs présentant le caractère d'une atteinte à leur religion. C'est ainsi que des croix ont été placées sur leurs tombes ; au cimetière de Pantin, notamment, on en a remarqué une vingtaine. Je vous prie de vouloir veiller à ce que ces faits ne se reproduisent plus, en vous assurant que nos sujets musulmans reçoivent une sépulture conforme à leurs rites religieux. Vous voudrez bien également donner les instructions nécessaires pour que les croix surmontant leurs tombes soient remplacées par des stèles musulmanes» [9].

Des consignes, autres que relatives aux sépultures, ont été définies, en particulier dans les hôpitaux militaires, pour respecter la religion des combattants musulmans pendant la Première Guerre mondiale : jeûne de ramadan, interdits alimentaires [10]. Le journal Les Amitiés musulmanes, en janvier 1916, évoque ces consignes : «au tout début de la guerre, le service de Santé reçoit du ministère de la Guerre les ordres suivants : “Lorsqu'un hôpital contient des Algériens, Tunisiens, Marocains ou autres musulmans, il convient, chaque fois que ce n'est pas impossible, de les réunir dans une même salle. Il faut en outre leur faire une cuisine à part, accommodée à l'huile, au beurre, mais jamais à la graisse de porc qui leur est formellement interdite par leur religion ; il convient de permettre à l'un d'eux de surveiller la préparation des repas, afin de leur enlever toute inquiétude à ce sujet. Il faut leur faciliter l'exercice des rites de leur religion, en mettant à leur disposition une pièce où ils puissent faire leurs ablutions. Enfin, il faut éviter tout acte de prosélytisme, tels que distribution de médailles ou images de piété et même ne laisser entrer dans la salle des musulmans aucun ministre d'une religion quelconque”» [11].

Mais le temps de guerre passant, les ambitions diplomatiques prirent le pas sur la gratitude dont le thème servit cependant de prétexte à l'achat de l'hôtellerie des pèlerins à La Mecque et à l'édification de la Mosquée de Paris. Les nécessités de la surveillance se firent plus pressantes aussi. D'autant que la présence d'indigènes nord-africains en métropole semblait poser d'impérieuses questions d'ordre public [12].

 

Une politique de contrôle : la Mosquée de Paris [13]

ren__Weiss_couvLes origines de la Mosquée de Paris ont été exposées jusqu'ici de façon trop unilatérale. Longtemps, le texte de René Weiss, formant la matière d'une luxueuse publication commémorative de l'inauguration de la Mosquée (juillet et août 1926), tint lieu de source [14]. On ne s'est pas aperçu que le récit de ce directeur de cabinet du président du Conseil municipal de Paris, n'était qu'un condensé d'un article du journaliste J. Ladreit de Lacharrière, membre du Comité de l'Afrique française, paru peu avant dans La Revue indigène [15] de Paul Bourdarie.

On utilisa également [16] une brochure, anonyme mais vraisemblablement éditée par la Mosquée de Paris elle-même après l'inauguration du 1er mars 1922 au cours de laquelle fut posée la première pierre et orienté le mihrab de la mosquée (détermination géomagnétique de la qibla) [17]. L'opuscule contenait les lettres des personnalités officielles qui soutenaient l'initiative et les discours relatifs à cette cérémonie [18]. On ne s'est pas aperçu que les développements de cette brochure provenaient mot pour mot des articles consacrés à la Mosquée de Paris dans La Revue Indigène de 1922 et signés «la Direction». Ainsi, Paul Bourdarie a probablement été le rédacteur et le réalisateur de la brochure de 1922 sur la Mosquée et l'Institut musulman.

Rien d'étonnant à ces deux faits. La Revue indigène, qui portait en sous-titre, Organe des intérêts des indigènes aux colonies et pays de protectorat, fut le noyau indigénophile qui défendit, dès sa naissance, le projet d'édifier une mosquée à Paris. Paul Bourdarie (1864-1950), journaliste, avait travaillé pour le compte de différents organismes coloniaux (Société africaine de France, Société des sultanats du Haut-Oubangui...), et enseigna au Collège libre des Sciences sociales [19] de 1908 à 1914. Il fut, à partir de 1922, le fondateur et secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer [20].

Bourdarie n'a pas laissé d'archives [21] mais la lecture de la Revue indigène est pleine d'informations précieuses sur les origines de la Mosquée de Paris. Son activité permit d'assurer symboliquement le lien avec le projet échoué de 1895, qu'avait porté le Comité de l'Afrique française animé par Cambon, Delcassé, le prince Bonaparte et le prince d'Arenberg :

«Une telle proposition ne pouvait être oubliée et disparaître. Elle correspond trop bien à la politique que laBourdarie_broch France se doit à elle-même de suivre envers ses fils musulmans, et qui doit se traduire tantôt en actes d'équité politique ou administrative et tantôt en gestes de sympathie ou de bienveillance. Dès sa fondation en 1906, La Revue indigène avait mis dans ses plans de reprendre ce projet dès que seraient réalisées les réformes qu'elle se proposait de préconiser et de faire aboutir. Les membres de la Délégation musulmane algérienne venue à Paris en 1912 : MM. le Dr Benthami, Dr Moussa, Mokhtar Hadj Saïd, avocat, etc., se rappellent que la question fut abordée à ce moment au cours des réunions qui eurent lieu au siège de la Revue indigène. Entre temps, M. Christian Cherfils, islamophile, auteur d'un ouvrage connu sur Napoléon et l'Islam, préconisait de son côté l'érection d'une mosquée à Paris. D'autres, sans doute, entrevoyaient la même construction comme désirable et possible» [22].

Une analyse des intérêts de la puissance française accompagnait, bien sûr, ces sentiments. Bourdarie évoquait, dans son article, la contradiction de l'alliance avec la Grande-Bretagne qui travaillait à dominer l'espace islamique alors que l'intérêt français était de rester «l'amie du Turc selon le vœu de François 1er et de Soliman le Magnifique» et de garder «son rôle de puissance musulmane arabe». La Revue indigène, comme le projet de mosquée à Paris, visaient à ce que les Français sachent «accorder dans leur esprit et dans leur cœur l'amour de leur patrie et le respect de l'Islam» et se préoccupent «de travailler à l'amélioration constante des rapports moraux et matériels entre ces deux grandes entités». C'est pourquoi Bourdarie n'avait cessé de faire partager son projet et avait entrepris des démarches qui finirent par trouver l'oreille du gouvernement [23].

Le récit de Bourdarie est instructif sur la paternité du projet : «En mai et juin 1915, j'entrais en relations suivies avec un architecte, élève de Girault, de l'Institut, M. E. Tronquois [réf 1]. Nos causeries roulant fréquemment sur l'Islam et le rôle des musulmans français sur les champs de bataille, M. Tronquois émit un jour l'opinion que le véritable monument commémoratif de leur héroïsme et de leurs sacrifices serait une Mosquée. J'expliquai à M. Tronquois les faits et les points de vue précédemment évoqués et nous résolûmes de nous mettre au travail aussitôt. Et ce fut dans l'été 1916 qu'un certain nombre de musulmans habitant Herriot_1918Paris et d'amis des musulmans se rencontrèrent à plusieurs reprises au siège de La Revue Indigène  pour examiner et, au besoin, critiquer les esquisses de l'architecte. Je puis nommer : l'émir Khaled, venant du front et de passage à Paris ; le Dr Benthami ; le muphti Mokrani ; le Dr Tamzali et son frère ; Halil Bey ; Ziane ; le peintre Dinet ; la comtesse d'Aubigny ; Lavenarde ; Christian Cherfils, A. Prat, député, etc... À la suite de ces réunions, un Comité fut constitué, dont la présidence fut offerte à M. Ed. Herriot, maire de Lyon [ci-contre, en 1918], sénateur, et la vice-présidence à MM. Lucien Hubert, sénateur [24], Bénazet Marin et Prat, députés et A. Brisson, directeur des Annales politiques et littéraires. La Commission interministérielle des Affaires musulmanes, saisie du projet par M. Gout, ayant donné son approbation, et M. Pichon, ancien ministre des Affaires étrangères, son patronage, le projet fut apporté directement à M. Briand, président du Conseil qui approuva» [25].

Il ne saurait donc être question d'attribuer à la Commission interministérielle des Affaires musulmanes (CIAM) la genèse d'un dessein dans la réalisation duquel Paul Bourdarie assume une fonction originelle et un activisme aussi constant que fédérateur. Responsabilité initiale qu'établit J. Ladreit de Lacharrière dans son étude de 1926 : «À plusieurs occasions des tentatives de réveil [après l'échec de 1895], dont la plus active fut parmi bien d'autres celle de M. Bourdarie et de MM. Herriot et Aristide Prat, députés, se manifestèrent, mais – pour des raisons diverses – sans aboutir jusqu'au jour où le gouvernement reprit le projet en mettant, par une loi du 19 août 1920, un crédit important à la disposition de la Société des habous des lieux saints de l'islam» [26].

La CIAM remplit une mission de réceptacle – et non de générateur – d'un projet conçu hors d'elle et longtemps avant sa formation (1911). Cette position en aval est d'autant plus évidente que la pièce décisive du dispositif débouchant sur l'édification d'une mosquée à Paris est justement cette Société des habous des lieux saints de l'islam [27]. D'où vient cet organisme musulman ? Sa création a été décidée au cours de l'année 1916 par le quai d'Orsay, en l'occurrence par Pierre de Margerie, directeur du département des Affaires politiques et commerciales.

Il est vrai que cette initiative survient au cœur d'un théâtre d'opérations majeur impliquant plusieurs instances de responsabilité gouvernementales. La France est engagée depuis avril 1915 (Dardanelles) dans des expéditions militaires pour affronter l'empire Ottoman contre lequel, à l'instar des Britanniques (Lawrence d'Arabie…), elle cherche à dresser les Arabes, en l'occurrence le chérif Hussein de La Mecque. Hedjaz_mission_miliCelui-ci déclare, 10 juin, 1916 la révolte arabe qui débute au Hedjaz contre les Turcs. Le 2 août de la même année, Briand décide la réouverture du pèlerinage à La Mecque et l'envoi d'une délégation de pèlerins accompagnée d'une députation politique dirigée par Si Kaddour Ben Ghabrit [28]. Le 5 août est créée la Mission militaire française au Hedjaz [photo ci-contre] dirigée par le colonel Édouard Brémond [29] qui, à partir de Djeddah, pourvoit en consignes les agents français pouvant pénétrer dans le périmètre des Lieux saints (haram) par leur qualité de musulmans [30].

 

La loi du 31 janvier 1916 avait porté affectation d'un crédit de 500 000 francs pour la création de deux hôtelleries de pèlerins en Arabie [31]. Mais c'est le département du quai d'Orsay qui échafaude l'édifice. Le 27 décembre 1916, Pierre de Margerie s'adresse aux autorités à Alger, Tunis, Rabat, aux ministères des Colonies et de l'Intérieur : «Il convient de faire de cette hôtellerie, ainsi que celle à créer plus tard à Médine, un bien habous qui appartiendrait à la communauté musulmane de l’Algérie, de la Tunisie, du Maroc et de l’Afrique occidentale française, communauté qui serait représentée par une commission de 7 membres choisis dans nos possessions précitées» [32].

La solution du bien habous, par le caractère religieux du type de propriété qu'elle définit, était la seule permettant l'acquisition d'un bien immobilier dans le sanctuaire des lieux saints du Hedjaz par les autorités officielles de la France, État non musulman perçu comme puissance chrétienne.

Pierre de Margerie désigne lui-même les membres devant faire partie de cette Société des biens habous  : «Il me semble qu’il y aurait avantage à constituer ce groupement à l’aide des délégués qui ont fait partie de notre mission à La Mecque : Si Kaddour Ben Ghabrit et Si Ahmed Skiredj pour le Maroc, l’Agha Sahraoui et Si Mustapha Cherchali pour l’Algérie, Si Chadly Okby et Si Larbi Cheikh pour la Tunisie. Quant à Abdou Kane, son grand âge et l’éloignement de sa résidence rendant difficiles les déplacements qui seront sans doute nécessaires pour la constitution légale de la Société en habous [...], il y aurait lieu de désigner à sa place, provisoirement tout au moins, un musulman sénégalais habitant soit la France soit l’Algérie ou le Maroc. Si quelque vacance venait à se produire parmi les délégués, il appartiendrait aux administrations intéressées de faire le choix d’un successeur pour les places qui relèvent de chacune d’entre elles. Au Maroc, les commissaires seraient nommés par dahir, à Tunis par un décret beylical, en Algérie par un arrêté du Gouverneur général et en ce qui concerne l’Afrique occidentale [...] par un arrêté du Gouverneur général de Dakar» [33].

kaaba
photo ancienne de la Mecque

«Il y a intérêt à ce que ce groupement soit formé et puisse fonctionner le plus rapidement possible. À cet effet, j’ai chargé Si Kaddour Ben Ghabrit, qui sera président de cette commission, de se rendre, sans délai, successivement à Fez, Alger et Tunis, en vue de prendre votre avis [...], touchant la constitution de la Société des Habous dont j’envisage la création». Benghabrit doit accomplir les formalités légales pour créer le habous et demander «l’envoi immédiat à La Mecque de Si Mustapha Cherchali [34] en vue de prendre possession de l’immeuble acquis par le Gouvernement français, d’en surveiller l’aménagement et de rechercher les gardiens capables d’en assurer l’entretien et l’utilisation lors du prochain pèlerinage. Cette mission qui serait susceptible de durer quatre ou cinq mois, nous permettrait d’avoir auprès du Chérif un représentant officieux dont la présence paraît au colonel Brémond désirable pour contrebalancer l’action de l’entourage syrien de l’émir Hussein et nous renseigner sur les dispositions de celui-ci. [...]»[35].

Le texte établit sans équivoque que la création de la Société des habous est une mission confiée à un agent du ministère et destinée à l'exécution d'un objectif majeur de la politique de la France dans la région tout en apportant un réconfort aux pèlerins musulmans provenant de l'empire colonial français. Le bâtiment destiné à servir d'hôtellerie avait été acheté par étapes à partir d'octobre 1916 suite au choix effectué par Benghabrit, et le contrat de vente passé devant le cadi de La Mecque le 25 janvier 1917 (1er rabia II 1335) par le cheikh Ahmed Banaja, ministre des Finances du chérif, agissant pour le compte de Benghabrit [36].

 

29604
soldats turcs en Arabie, vers 1880

 

La Société des habous des Lieux saints de l'islam a été fondée officiellement le 16 février 1917 devant le cadi de la mahakma hanéfite d'Alger (prétoire judiciaire) et l'acte constitutif retient les noms des sept membres actifs, des sept membres honoraires, du secrétaire et du trésorier choisis par Benghabrit [37].

Cet organisme reçut la propriété de l'hôtellerie, ainsi qu'en rend compte Si Kaddour Benghabrit au ministre des Affaires étrangères le 28 avril 1917 : «Conformément aux instructions de Votre Excellence contenues dans sa lettre du 22 janvier 1917 et relatives à la constitution de la Société des Habous des Villes Saintes, je me suis rendu à Alger pour y réunir les membres musulmans appelés à constituer cette société. [...] Réunis à Alger le 7 février dernier, nous avons décidé de créer la Société par un acte notarié dressé devant le cadi d'Alger. Après avoir été désigné par mes collègues comme président, j'ai rappelé dans quelles conditions le gouvernement français avait été amené à créer dans les Villes Saintes de la Mecque et de Médine des hôtelleries destinées à recevoir des pèlerins malades ou indigents de l'Afrique du Nord et de l'Afrique occidentale. Nous avions déjà réalisé l'acquisition d'un immeuble à la Mecque ; il s'agissait de donner à cet achat une forme légale en transférant au nom de la Société la propriété qui avait dû être acquise en mon nom. […] Pour régulariser à la Mecque l'acte d'achat passé en mon nom, j'ai, d'accord avec mes collègues, donné procuration à Si Mustafa Cherchali qui doit se rendre prochainement à la Mecque pour le règlement de ces formalités et faire inscrire la propriété de l'immeuble au nom du Président de la Société, conformément aux instructions de Votre Excellence» [38].

Benghabrit a plusieurs fois évoqué cette ascendance officielle, par exemple en 1923 dans une lettre où il mentionne les trente ans de services qu'il compte aux Affaires étrangères : «cette œuvre [l’Institut musulman de la Mosquée de Paris] depuis l’époque où j’en ai reçu la charge du Département des Affaires étrangères» [39]. Ou encore dans ce rapport du 10 août 1937 adressé à Yvan Delbos, ministre des Affaires étrangères : «L'initiative de la création de l'Institut Musulman et de la Mosquée de Paris revient au ministre des Affaires étrangères préoccupé d'affirmer à l'égard de l'Islam français et de la collectivité musulmane dans le monde, une politique française d'amitié et de rapprochement. Une loi du 19 août 1920 déterminait les modalités de cette double fondation et y attachait un crédit de 500 000 francs. Cette loi confiait l'exécution du projet et l'administration de ces œuvres à une société antérieurement créée sur l'initiative du ministère des Affaires étrangères, société dite des Habous des Lieux saints de l'Islam» [40].

 

garde_noire_Msq_1926
"Garde Noire", Mosquée de Paris, 1926

 

Il ne faut donc pas confondre organisme de discussion (la CIAM) et instance de décision (le quai d'Orsay). Le contrôle du religieux islamique, finalisé par les objectifs diplomatiques de la présence française au Hedjaz et donc en Orient, relevait normalement du ministère des Affaires étrangères qui a créé les instruments idoines : l'hôtellerie des pèlerins à La Mecque (initiative propre) et l'Institut musulman de la Mosquée de Paris (reprise du projet de Bourdarie).

Les deux organismes furent confiés à la Société des habous des Lieux saints de l'islam dirigée, jusqu'à sa mort en 1954, par un agent consulaire [41], devenu la première personnalité franco-musulmane du pays, Si Kaddour Ben Ghabrit. Ce dernier a assuré le déploiement et l'encadrement, sur le sol de la métropole, d'un islam du rite et de l'observance non engagé dans la confrontation politique avec la puissance coloniale.

 

Une politique d’accompagnement : lieux de culte et projets de mosquées

Le contrôle n'est pas la seule modalité du rapport au religieux islamique à l'époque de l'émigration provenant des colonies. Il a existé de nombreuses initiatives d'origine publique (services des affaires indigènes, municipalités) ou privée (patronat) pouvant être rangées sous l'étiquette d'une politique indigènophile [42]. Marseille a été la ville qui a compté le plus de tentatives (échouées) d'édification de mosquées[43]. Mais d'autres réalisations sont symptomatiques de cette attitude [44].

Dans le département du Nord, une importante entreprise industrielle, la Compagnie royale asturienne des mines à Auby-lez-Douai aménagea un lieu de prière pour ses ouvriers de confession musulmane dès avant la Deuxième Guerre mondiale. Cette usine, comprenant une fonderie et des laminoirs à zinc, des ateliers de zinguerie et de transformation du plomb, des centrales de production électrique, était située entre le canal du nord et la voie ferrée Paris-Lille, à la gare de Pont-de-la-Deule. Une importante colonie algérienne y résida longtemps, alimentant le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) en militants dans les années d'après-guerre. En 1949, un stagiaire du Comité des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes (CHEAM), Stéphane David, étudia le logement des ouvriers par les employeurs de la Royale asturienne et de la Pennaroya et nota la présence d'un lieu de culte :

«Avant guerre, la ferveur religieuse des Kabyles résidant en France était bien faible, mais les “Arabes” restaient beaucoup plus empreints de la mystique de l'Islam. À leur intention, l'Asturienne des Mines avait fait construire au centre de la cité nord-africaine, une petite mosquée. Tous les ans, deux marabouts venaient de Nedroma encourager le zèle religieux de leurs adeptes et faire la ziara [45]. L'usine mettait même une auto à la disposition de ces chioukhs pour leur permettre de se déplacer dans la région. Cette année, l'un de ces chefs religieux, de passage, s'est amèrement plaint du zèle amoindri de ses khouans [frères] ; fait plus symptomatique, la mosquée est moins fréquentée et nos “Arabes” se sentent moins enclins à se reconnaître de l'Islam» [46]. Ce lieu de prière avait été aménagé à la suite d'une sollicitation du sous-préfet. Le patron avait consenti [47].

À l'hiver 1951, un stagiaire de l'ENA avait corroboré l'observation : «À la Cie R..... [pour Royale Asturienne], à Auby-lez-Douai, 90 % des Nord-Africains logent dans une cité proche de l'usine. L'aspect général est accueillant, quelques arbres séparent les baraquements. Les ouvriers se répartissent selon leur origine, en groupes de 6 à 8, avec un dortoir et une petite cuisine. Une mosquée a été ouverte dans un baraquement isolé». Et il ajoutait : «À la Société U… [pour Usinor ?], à Trith-St-Léger, près de Valenciennes, 96 Nord-Africains sont logés dans quatre bâtiments en matériaux durs, par chambres de trois personnes, avec armoires individuelles et chauffage central. Un foyer est en cours de construction : il comprendra une salle de prières» [48].

Ainsi, après l'armée durant la guerre, et mis à part le cas de la Mosquée de Paris, les premiers pourvoyeurs de lieux de culte musulmans en métropole ont été les employeurs de la main-d'œuvre émigrée d'origine coloniale. Mais les traces en sont souvent fortuites.

 

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mosquée d'Auby-lez-Douai (Nord) au début des années 1950

 

Il se trouve qu'il existe une photo de la mosquée d'Auby-lez-Douai datant des années 1950. Elle représente l'intérieur du lieu de culte : le sol y est recouvert de tapis, cinq fidèles en djellaba et fez et un sixième en burnous sont adossés au mur, dans une position suggérée vraisemblablement par le photographe et non, bien sûr, par les modalités de la prière ; au-dessus d'eux, une graphie arabe du mot Allâh, et, sous une tablette, l'horloge nécessaire à l'accomplissement de la prière aux heures canoniques que semble entourer un chapelet [49]. De la simplicité habituelle du lieu de prière en islam, il ne manque que le mihrab formalisant la qiblâ, mais son absence n'est pas préjudiciable à l'exécution des oraisons – la validation de la prière n'exigeant, sur ce point, que de se tourner dans la direction de La Mecque, que celle-ci soit matérialisée ou non.

Il faut souligner le caractère extrêmement rare de ce type de document, mais pas forcément de la réalité dont il témoigne. En effet, le rituel oratoire islamique ne se donne pas à voir facilement [50]. D'une part, parce que les fidèles ressentent souvent comme une intrusion dérangeante toute présence extérieure à l'accomplissement de la prière. D'autre part, parce que personne ne songe alors à fixer ces pratiques en images.

Le religieux islamique en métropole, dérivé du fait colonial et de la politique étrangère, établi, en certaines de ces formes, par le contrôle institutionnel et l'indigénophilie patronale ou édilitaire, est encore mal connu. L'observation policière à laquelle furent soumis les musulmans émigrés était focalisée sur leurs activités politiques, le rituel religieux étant généralement perçu comme une survivance traditionnelle ne véhiculant aucune dangerosité [51]. D'où la difficulté à recenser les pratiques religieuses alors qu'elles accompagnèrent la vie quotidienne des indigènes nord-africains en métropole avec un degré de prégnance plus élevé que ne le laisserait croire de prime abord le caractère ténu et fragmenté des sources qui nous en informent encore aujourd'hui.

Michel Renard (2004)

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Michel Renard, université Paris VIII, termine une thèse sur «Les pratiques religieuses musulmanes des Nord-Africains en métropole (1830-1962) et l'encadrement de l'islam dans la France coloniale», sous la direction de Daniel Lefeuvre.

 

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[1]. Cf. Michel Renard, «Les manifestations du culte musulman en métropole, 1813-1980» contribution à un livre collectif à paraître chez Flammarion, issue de la conférence donnée à l'université Paris VIII dans le cadre de la formation «Islam : histoire, religion et laïcité» dirigée par Daniel Lefeuvre, novembre 2003.

[2]. Selon une enquête du Gouvernement général de l'Algérie, 4 à 5 000 indigènes algériens vivaient entre Paris, Marseille et le bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais en 1912 ; cf. Octave Depont (inspecteur général des communes mixtes), Les Kabyles en France. Rapport de la Commission chargée d'étudier les conditions du travail des indigènes algériens dans la métropole, Beaugency, impr. René Barrillier, 1914.

[3]. Cf. ministère de l'Intérieur, Exécution de la loi du 4 avril 1873 relative aux tombes des militaires morts pendant la guerre de 1870-1871. Rapport présenté au Président de la République par M. de Marcère, ministre secrétaire d'État au département de l'Intérieur, Paris, Imprimerie nationale, 1878, 2 volumes.

[4]. D'où l'aménagement des «nécropoles nationales» – aujourd'hui au nombre de 265 – dans les années qui suivirent la Grande Guerre.

[5]. Arch. de la Seine, 1326 W, art. 58 : Règles à suivre pour l'inhumation des militaires musulmans, ministère de la Guerre, direction du service de Santé, 2e Bureau, Bordeaux, 8 décembre 1914.

[6]. «La mise dans un cercueil est absolument interdite».

[7]. Cf. les photos provenant de : Fr CAOM 81 F 834. Une particularité graphique de l'épitaphe arabe peut intriguer : en effet, la lettre qâf ne porte qu'un point diacritique alors qu'elle doit en comporter normalement deux pour la distinguer de la lettre fâ' habituellement affectée d'un seul point ; en fait, il s'agit d'une tradition graphique maghrébine consistant à ne doter le qâf que d'un point diacritique, placé au-dessus, alors qu'on attribue à la lettre fâ' un point au-dessous.

[8]. Cf. Thierry Hardier et Jean-François Jagielski, Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925), préface de Guy Pedroncini, Paris, Imago, 2001.

[9]. Arch. de la Seine, 1326 W, art. 58. Le CAOM vient de publier un magnifique ouvrage, Archives d'Algérie, 1830-1960, Hazan, 2003, qui comporte une photo de tombes musulmanes au cimetière de Pantin en 1915, p. 158 (CAOM 2 Fi 2417).

[10]. Le fait est seulement signalé ici, l'évocation qui suit étant loin d'épuiser le sujet.

[11]. Cf. Les Amitiés musulmanes, organe officiel de l'association présidée par le député et ancien ministre Maurice Raynaud, première année, n° 2, 15 janvier 1916.

[12]. De la «criminalité arabe» à Marseille en 1917 au crime de la rue Fondary à Paris en 1923, le thème s'impose dans les notes de police et les rapports administratifs même si les appréciations divergent.

[13]. L'autre institution dévolue au contrôle des indigènes nord-africains de métropole fut la «rue Lecomte», ou la « Brigade nord-africaine » ou encore le  Bureau arabe», nom donné au service des Affaires indigènes nord-africaines créé en 1925 conjointement par la préfecture de la Seine et la préfecture de Police de Paris. La «rue Lecomte» s'occupa aussi des questions religieuses, et la politique de contrôle se mêlait à l'indigénophilie.

[14]. René Weiss, Réception à l'Hôtel de Ville de Sa Majesté Moulay Youssef, Sultan du Maroc. Inauguration de l'Institut musulman et de la Mosquée, Paris, Imprimerie nationale, 1927.

[15]. N° 209-211, mai-juillet 1926. Gilles Kepel, qui ne prétendait pas faire œuvre d'historien, utilisa cette référence sans savoir que Weiss ne faisait que rapporter les propos de Ladreit de Lacharrière. En 1987, dans les Banlieues de l'islam, il écrivait : «selon un haut fonctionnaire de la Ville de Paris, auteur d'une brochure relatant l'histoire de la Grande Mosquée» (Paris, Seuil, 1991, p. 65).

[16]. Cf. Alain Boyer, L’Institut musulman de la Mosquée de Paris, CHEAM, 1992.

[17]. Brochure Fondation de l'Institut musulman et de la Mosquée de Paris, 39 pages, s.d. (env. 1922/1923) ; consultable à la BHVP, cote 732 658, ou aux archives de la Seine, VM 79/1 dossier « Institut Musulman » ; l'ancien préfet, conseiller d'État honoraire, Mohand Sadek Ourabah, rencontré en 1997, en détenait à titre personnel un exemplaire qu'il m'avait montré sorti d'un vieux marocain rouge. Selon L'Illustration du 11 mars 1922, l'opération s'effectua ainsi : «Sur une table de bois spécialement construite, sans aucune partie métallique susceptible d’influencer l’aiguille aimantée, deux boussoles sont posées. [...] [les trois musulmans : Si Kaddour ben Ghabrit, Ababou, le chambellan du sultan, et Ben Sayah, astronome à Fez] déterminent avec soin l’axe de 29° au sud de l’orientation Ouest-Est qui correspond, à Paris, à la direction de la Mecque».

[18]. Le discours de Maurice Colrat, sous-secrétaire d'État à la Présidence du Conseil, représentant le gouvernement, comportait la fameuse phrase souvent attribuée à Lyautey par erreur : «Quand il s'érigera au-dessus des toits de la ville, le minaret que vous allez construire à cette place, il ne montera vers le beau ciel nuancé de l'Île-de-France, qu'une prière de plus, dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses». Lyautey a cité lui-même ce propos dans son discours du 19 octobre 1922 à l'ouverture des travaux de la Mosquée mais il n'en fut pas l'auteur.

[19]. Le Collège libre des sciences sociales fut créé par des intellectuels dreyfusards en 1895 autour de Dick May (Jeanne Weill).

[20]. Pascal Le Pautremat, dans sa thèse, indique par erreur que Bourdarie était député de Seine-et-Oise ; cf. Le Rôle de la commission interministérielle des affaires musulmanes dans l'élaboration d'une politique musulmane de la France de 1911 à 1937, Septentrion Presses universitaires, 2001, tome 1, p. 374.

[21]. Son fils, Paul-Louis Bourdarie, m'a raconté qu'en 1940 son père et la famille ont quitté Paris à l'arrivée des Allemands, n'emportant presque rien ; que Paul Bourdarie n'est pas revenu à son bureau de la rue du Roc après-guerre et que c'est Grandidier, son successeur, qui a sûrement recueilli ses archives (témoignage, juin 2001). Les archives de Guillaume Grandidier, 1873-1957 (fils de Alfred Grandidier, explorateur de Madagascar), qui fut secrétaire de l'Académie des sciences coloniales de 1943 à 1954, sont déposées au Muséum national d'histoire naturelle (cf. Christophe Bonneuil, «Le Muséum national d'histoire naturelle et l'expansion coloniale de la Troisième République (1870-1914)», Revue française d'histoire d'outre-mer, n° 322-323, 1er trimestre 1999, p. 144) ; mais, contacté, le Muséum ne semble pas informé du sort des archives de Bourdarie.

[22]. Paul Bourdarie, «L'Institut musulman et la Mosquée de Paris», La Revue indigène, n° 130-132, octobre-décembre 1919.

[23]. Cette lecture des origines de la Mosquée de Paris et la réhabilitation du rôle central de Bourdarie et du courant indigénophile libéral, se distinguent du scénario évoqué par Pascal Le Pautremat dans sa thèse (Le rôle de la commission interministérielle des affaires musulmanes…, op. cit.) qui, épousant l'auto-valorisation de l'institution dont il étudie le fonds d'archives, accorde la part trop belle à la Commission interministérielle des Affaires musulmanes. Sans nier la dynamique qu'elle a contribuée à créer, la Commission intervient le plus souvent en aval d'initiatives conçues ailleurs et au sujet desquelles elle n'émet que des vœux et des avis.

[24]. Sénateur des Ardennes, rapporteur du budget des Affaires étrangères, Lucien Hubert notait en 1918 : «Devant l'élan avec lequel nos populations musulmanes ont répondu à l'appel de la mère-patrie, on mesure la dette sacrée que nous avons contractée envers nos sujets. Comment paierons-nous cette dette ? Toute la question de la politique future que la France devra s'appliquer à suivre en terres islamiques se résume ici.», cf. Une politique coloniale. Le salut par les colonies, Paris, Librairie Félix Alcan, 1918, p. 234-244.

[25]. Paul Bourdarie, «L'Institut musulman et la Mosquée de Paris», La Revue indigène, n° 130-132, octobre-décembre 1919.

[26]. «L'œuvre de la Mosquée», La Revue indigène, n° 209-211, mai-juillet 1926. Autre indication : quand La Revue Indigène publie le texte du projet de loi portant affectation d'une subvention de 500 000 francs, Bourdarie souligne en italique le passage suivant : «la Société des Habous […] se tiendra également en rapports étroits avec les groupements métropolitains qui ont déjà mis à l'étude la question d'une mosquée à Paris», voyant là reconnaissance de ses initiatives et gage de leur avenir ; n° 133-135, janvier-mars 1920.

[27]. Les habous sont les biens légués à des fondations pieuses pour l'entretien d'un édifice religieux ou la charité envers des pèlerins ou des indigents ; ils sont inaliénables, insaisissables et imprescriptibles, retirés du marché des opérations foncières. La Société des habous est une association apte à détenir la propriété de biens à usage religieux : ici, l'hôtellerie des pèlerins à la Mecque, l'un des deux lieux saints avec Médine où il était prévu l'achat d'une autre hôtellerie.

[28]. Si Kaddour Ben Ghabrit (1868-1954) présida la Société des Habous pendant 37 ans. Né algérien à Siddi bel-Abbès, musulman de statut civil français, il devient interprète et adel en 1887 en Algérie. Puis il entre dans l'administration du protectorat au Maroc en novembre 1892 et en janvier 1893, il est secrétaire-interprète à la légation de France à Tanger. C'est le début d'une carrière d'agent diplomatique menée parallèlement en métropole où il dirige la Mosquée de Paris, et au Maroc puisqu'il assume les fonctions de directeur du protocole auprès du sultan. On sait trop peu que Ben Ghabrit a joué un rôle capital dans l'acceptation du protectorat par le sultan Moulay Hafid en mars 1912 et qu'il est intervenu jusqu'à la fin de sa vie dans des missions plus ou moins délicates. Il fut une très grande figure, aujourd'hui largement oubliée, de l'ambivalence du rapport colonial, de l'imbrication des cultures et des intérêts.

[29]. La France n'a jamais disposé des moyens de la Grande-Bretagne pour influencer le chérif Hussein... Christophe Leclerc écrit : «Au final, on ne peut que se rallier à ce constat de Georges-Picot : le colonel Brémond “a été envoyé pour assurer la liberté du pèlerinage et aider si possible à l’instruction d’une armée chérifienne. Il a parfaitement réussi dans la première partie de sa tâche ; le succès de la seconde ne dépendait pas de lui”», Avec T. E. Lawrence en Arabie. La mission militaire française au Hedjaz, 1916-1920, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 75.

[30]. Outre Ben Ghabrit, ont joué un rôle dans les mois qui suivent : le commandant puis lieutenant-colonel Cadi, officier musulman ; Mustapha Cherchali, envoyé spécial de la République au Hedjaz ; le capitaine Ibrahim Depui ; le capitaine Saad.

[31]. Cf. Le Pautremat, Le rôle de la Commission interministérielle…, op. cit., p. 141-151. La difficulté avec cette thèse, c'est qu'elle procède à un amalgame entre le processus de discussion (analyse, circulation de l'information, propositions…), qui est la prérogative d'un organisme interministériel, et les modalités d'initiative et de décision qui ne lui appartiennent pas en propre mais qui relèvent de l'autorité déléguée dont dispose chaque département ministériel. Ainsi, au sujet de l'hôtellerie des pèlerins musulmans de La Mecque, l'auteur affirme qu'elle fut «l'une des réalisations majeures de la CIAM» (p. 141). Ceci est manifestement abusif car la CIAM n'a aucun pouvoir de décision. Même si la Commission a beaucoup évoqué cette question et que, par là, elle a joué un rôle dans la réalisation, l'opérateur principal fut le ministère des Affaires étrangères ainsi que l'établissent les correspondances militaire et diplomatique consultables au quai d'Orsay (MAE) ou à Vincennes (SHAT).

[32]. MAE, Guerre, 1914-1918, Hedjaz, volume 1710 : Hôtellerie de La Mecque.

[33]. Ibid.

[34]. Mustapha Cherchali était cadi à Dra el-Mizan (Grande Kabylie).

[35]. MAE, Guerre, 1914-1918, Hedjaz, volume 1710 : Hôtellerie de La Mecque.

[36]. MAE, Correspondance politique et commerciale/E, Levant, 1918-1940, Arabie-Hedjaz, vol. 18 : Cherchali, janvier-août 1917.

[37]. Arch. nat., F60/820, dossier Société des Habous des Lieux Saints.

[38]. MAE, Correspondance politique et commerciale/E, Levant, 1918-1940, Arabie-Hedjaz, vol. 18 : Cherchali, janvier-août 1917 : copie par le sous-lieutenant Carriot, chargé des affaires en l'absence du Chef de mission (Mission militaire française en Égypte) de la lettre de Ben Ghabrit, directeur du Protocole de Sa Majesté chérifienne à M. Ribot, président du Conseil, ministère des Affaires étrangères, Paris, 28 avril 1917.

[39]. MAE, Afrique, Levant, 1918-1949, volume 12, lettre au directeur du département Afrique, 21 février 1923.

[40]. Arch. nat., F60/712.

[41]. La tutelle du ministère des Affaires étrangères dura jusqu'en 1957, date à laquelle le ministère de l'Intérieur prit le relais quand Hamza Boubakeur fut nommé recteur par Guy Mollet.

[42]. On peut qualifier d'indigénophile deux attitudes : la première consistant à privilégier dans le rapport aux «indigènes» le respect de leur dignité et de leurs droits d'êtres humains ; la seconde ajoutant à ce facteur humaniste l'idée que l'avenir du rapport colonial, c'est-à-dire de la domination française, résidait dans l'association d'une fraction au moins des indigènes aux mécanismes du pouvoir et de la représentation. Les grandes figures de l'indigénophilie furent le général Daumas, Ismaïl Urbain, le général Lapassade, Jules Ferry, son neveu Abel Ferry, Émile Masqueray, Jean Jaurès, Georges Leygue, Adolphe Messimy, Lucien Hubert, Victor Barrucand, Alban Rozet, le Dr Bruzon, Marius Moutet, Jean Mélia, Augustin Berque… Les gouverneurs généraux de l'Algérie Jules Cambon (1891-1897) et Maurice Viollette (1925-1927) furent aussi des libéraux indigénophiles.

[43]. Cf. Michel Renard, «Aperçu sur l'histoire de l'islam à Marseille, 1813-1962. Pratiques religieuses et encadrement des Nord-Africains», Outre-Mers, revue d'histoire, 2003, tome 90, n° 340-341, p. 269-296.

[44]. Une mesure globale de cette dernière doit compter les édifices réellement bâtis… et les projets.

[45]. La ziara est à la fois une visite pieuse, un pèlerinage, généralement au tombeau d'un saint, et l'offrande qui peut être accordée à cette occasion. Ici, il s'agit de la collecte d'un tribut financier par des notables religieux («marabouts») prétendant délivrer la «baraka» dont ils seraient détenteurs.

[46]. Stéphane David, note du CHEAM, 1949 (consultable à la BAVP). Il faut se méfier des constats de décrue religieuse : le «zèle amoindri» dont se plaignent les chioukhs signifie avant tout que le montant pécuniaire de la ziara ne les a pas satisfait…

[47]. Outre dans les archives, la mosquée est mentionnée par Jean-René Genty, L'Immigration algérienne dans le Nord/Pas-de-Calais, 1909-1962, préf. d'André Diligent, Paris, L'Harmattan, 1999.

[48]. Arch. départ. du Nord, 3 J 18 (anc. J 256), Les Travailleurs nord-africains dans le département du Nord, Paul-Henri David, mémoire de stage de l'ENA, décembre 1951, p. 17.

[49]. Source : La Compagnie royale asturienne des mines, 1853-1953, avant-propos de Paul Laloux, Bruxelles-Paris-Madrid, éd. Compagnie royale asturienne des mines, 1954, p. 188.

[50]. Ce n'est d'ailleurs pas lui précisément que fixe la photographie mais l'environnement matériel qui l'accueille ainsi que les fidèles «en tenue» de l'observer.

[51]. Les pratiques religieuses sont relevées dans trois cas : quand elles semblent témoigner d'un esprit de corps, de « communauté » ; quand elles pourraient indiquer un irrédentisme hostile au milieu extérieur ; quand elles sont l'enjeu d'une rivalité politique violente, comme ce fut le cas pendant les quatre premières années de la guerre d'Algérie en métropole ; cf. ma contribution au colloque du CEHD : «Observance religieuse et sentiment politique chez les nord-africains en métropole, 1952-1958», in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes en guerre d'Algérie, Paris, éd. Autrement, 2003, p. 261-279.

[réf 1] Bonjour, cet article est extrêmement intéressant. Petite remarque cependant, vous retranscrivez «E. Tronquois» dans la citation [25], ce qui est peut-être bien retranscrit mais tout porte à croire que c'est plutôt Alfred Tronquois que le célèbre érudit japonisant Emmanuel Tronquois, son frère, qui a pu être sur le dossier de mosquée (E. Tronquois décède en 1918). En guise de preuve, ce document sans date rapporté par le biographe d’Aristide Prat : signé Aristide Prat, P. Bourdarie, A. Tronquois, et Barret de Beaupré : «Note sur la création à Paris d’un Institut franco-arabe musulman (pour le président Herriot)» : Guy Caplat, « Aristide Émile Prat [note biographique] », In : Dictionnaire biographique des inspecteurs généraux, Institut national de recherche pédagogique, 1997, p.447. https://www.persee.fr/doc/inrp_0298-5632_1997_ant_13_1_6729
Adrien Gross

 

 

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8 septembre 2006

Les tombes musulmanes de la Première Guerre mondiale (Michel Renard)

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dessin de stèle musulmane
par le Service de Santé de l'armée française


 

Les tombes musulmanes

de la Première Guerre mondiale

Michel RENARD

 

Dans les premiers mois de la guerre, en 1914 et en 1915, plusieurs facteurs ont favorisé une prise en compte rapide du religieux islamique par l'autorité militaire. Tout d'abord, l'ampleur des pertes, qui singularise ce conflit par rapport à la guerre de 1870-: il faut traiter la commotion des opinions publiques. Ensuite, l'expérience acquise en matière de religion des sujets Nord-Africains comme l'atteste le rapport Depont. Mais, plus anciennement encore, pèsent les contrecoups d'une controverse ouverte dès 1908 dans l'Algérie et la Tunisie coloniales avec l'introduction de la conscription. Celle-ci prit effet en Algérie en 1912.

L'un des enjeux du respect du religieux islamique fut donc de parer les objections qui avaient été formulées à l'occasion des discussions sur le service militaire indigène en Algérie. Plusieurs personnalités arabes avaient manifesté des opinions défavorables à ce recrutement en arguant de la question du religieux, tel Ali Mahieddine, assesseur musulman au conseil général d'Oran : «Cette opposition se base principalement sur l'éventualité pour le soldat musulman d'une quasi impossibilité de pratiquer à la caserne ses devoirs religieux, d'y trouver la nourriture conforme au rite et d'y jouir de la liberté à laquelle il est accoutumé ; enfin, sur l'expatriation à laquelle le soldat est toujours exposé et la crainte d'être enterré en pays étranger, privé des rites prescrits» . Avec trente-deux bataillons nord-africains  envoyés en France avant la fin septembre 1914, il fallait être prudent.

 

«lorsqu'un hôpital contient des musulmans»

L'ancien ministre et député radical socialiste de Charente, Maurice Raynaud, présidait le journal Les Amitiés Musulmanes dans lequel on pouvait lire le 15 janvier 1916 qu'au tout début du conflit, le service de Santé du ministère de la Guerre recevait les instructions suivantes :

«Lorsqu'un hôpital contient des Algériens, Tunisiens, Marocains ou autres musulmans, il convient, chaque fois que ce n'est pas impossible, de les réunir dans une même salle. Il faut en outre leur faire une cuisine à part, accommodée à l'huile, au beurre, mais jamais à la graisse de porc qui leur est formellement interdite par leur religion ; il convient de permettre à l'un d'eux de surveiller la préparation des repas, afin de leur enlever toute inquiétude à ce sujet. Il faut leur faciliter l'exercice des rites de leur religion, en mettant à leur disposition une pièce où ils puissent faire leurs ablutions. Enfin, il faut éviter tout acte de prosélytisme, tels que distribution de médailles ou images de piété et même ne laisser entrer dans la salle des musulmans aucun ministre d'une religion quelconque».

Il est difficile de mesurer l'impact réel de ces propositions. Leur application a dû varier en intensité selon les circonstances, mais l'intention est déjà un témoignage de l'intérêt de l'institution militaire pour le sentiment religieux des soldats nord-africains. Par-delà le religieux, les soldats musulmans ont pu honorer certaines traditions culinaires, telle le méchoui.

m_choui_tirailleurs_marocains
carte postale mettant en scène des tirailleurs marocains
préparant un méchoui à Amiens en 1914

En matière d'inhumations, les preuves sont plus visibles. Les consignes sont, là encore, très précoces puisqu'elles datent du 16 octobre 1914. Elles proviennent du 2e Bureau de la Direction du service de Santé du ministère de la Guerre qui précise le 8 décembre suivant les «règles à suivre pour l'inhumation des militaires musulmans» dans un texte signé par Millerand, ministre de la Guerre :

- Le souci d'être inhumés suivant les rites consacrés par la religion et les usages musulmans paraissent préoccuper au plus haut point les militaires indigènes qui viennent à décéder en France, ainsi que leurs familles, je crois utile de compléter les instructions que je vous ai données, par dépêche n°-4695-9/11 du 16 octobre dernier, en vous indiquant toutes les formalités qui accompagnent le décès d'un musulman et en précisant celles qui me paraissent pouvoir être mises en pratique.
Lorsqu'un musulman est sur le point de mourir, il ne manque pas, lorsqu'il le peut, de prononcer le "Chehada" en dressant l'index de la main droite. Si son état ne lui permet pas de le faire lui-même, tout coreligionnaire présent est dans l'obligation de prononcer pour lui cette profession de foi musulmane.
Il y aura donc lieu, chaque fois qu'un militaire indigène sera dans un état désespéré, de prévenir le ou les coreligionnaires qui pourront se trouver dans le même établissement que lui.
La mort ayant fait son œuvre, le corps est entièrement lavé à l'eau chaude.
Cette pratique ne me paraît pas applicable ailleurs qu'en pays musulman, car les indigènes répugnent à cette besogne, la confiant dans chaque agglomération à un professionnel. Il n'apparaît donc pas que les coreligionnaires du défunt présents dans les hôpitaux s'en chargeraient volontiers-; mais s'ils en témoignaient le désir, toutes facilités devraient leur être données à ce sujet.
Le corps enveloppé dans un linceul, qui consiste en une cotonnade blanche quelconque assez large pour entourer complètement le défunt, est ensuite transporté au lieu d'inhumation sur une civière [qui] doit être portée à bout de bras par des coreligionnaires. La mise dans un cercueil est absolument interdite.
La cérémonie, qui accompagne les funérailles, ne peut être dirigée que par un musulman, en ce qui concerne le rite religieux, car lui seul a qualité pour dire les prières. Il conviendra donc d'en charger le ou les camarades du défunt tout en rendant, bien entendu, les honneurs militaires en usage.
En cas d'absence de tout musulman, les honneurs militaires seuls seront accordés et on devra s'abstenir de toute cérémonie ayant un caractère religieux, comme je l'ai prescrit par dépêche n° 4695-9/11 précitée.
La tombe doit être creusée avec une orientation sud-ouest - nord-est, de façon que, le corps étant placé du côté droit, le visage soit tourné dans la direction de La Mecque.
Cette pratique est réalisable et il y aura lieu de s'y conformer.
Enfin, il serait désirable que, par analogie avec ce qui se fait pour les chrétiens, dont la tombe est habituellement surmontée d'une croix, les tombes des militaires musulmans fussent marquées au moyen de deux stèles en pierre ou en bois, dont le modèle est ci-joint, et qui seront placées : l'une au-dessus de l'endroit où repose la tête, portant l'inscription en arabe (conforme au modèle) qu'il sera facile de faire recopier et le nom du défunt en français ; l'autre, sans inscription, à l'emplacement des pieds.
Ce souvenir que nous devons à nos soldats musulmans morts pour la France est facilement réalisable.
Vous voudrez bien communiquer ces instructions aux médecins-chefs des Hôpitaux militaires et auxiliaires, ainsi qu'aux commandants de Dépôts de convalescents et des Dépôts des troupes d'Afrique placés sous votre commandement, en leur recommandant de s'y conformer dans toute la mesure du possible.

Archives de Paris et de la Seine

 

ceci est la tombe du rappelé à Dieu

La stèle de tête de la tombe musulmane de 1914, dessinée par les militaires, était constituée d'une planche verticale d'environ soixante centimètres de largeur, couronnée d'une découpe en forme d'arc outrepassé (en fer à cheval) sur laquelle est consignée en graphie arabe la formule épitaphe anonyme : «hadhâ qabr al-mahrûm» (ceci est la tombe du rappelé à Dieu), que devait compléter la mention du nom ; le tout est surmonté d'un croissant et d'une étoile .

st_le_face_hadh_
hadhâ qabr al-mahrûm

(ceci est la tombe du rappelé à Dieu)

 

st_le_endroit_envers
"modèle des stèles édifiées sur les tombes des militaires
indigènes musulmans tués à l'ennemi"

(Centre des archives d'outre-mer, Aix-en-Provence)

 

Les preuves existent de l'utilisation de ces stèles durant le conflit. Mais les inhumations initiales, situées à proximité du front, ont souvent été déplacées du fait des bombardements. La dimension des stèles pouvait ne pas respecter celles du modèle dessiné par le service de Santé des armées et être à la fois plus haute et plus étroite.

tombes_Talus_Saint_Prix
carte postale montrant, à Talus-Saint-Prix (Marne), des «tombes de tirailleurs algériens»
décédés lors des combats des 8 et 9 septembre 1914. En réalité, il est plus probable
qu'il s'agisse de combattants marocains. Dans un même enclos, les stèles musulmanes
sont dressées à côté de tombes chrétiennes surmontées d'une croix.

 

Diapositive1
carte postale ancienne, légende en langue allemande
:
Marokkanergräber bei Missy

À l'arrière du front, elles ont servi dès 1915 dans les espaces musulmans des cimetières parisiens, à Bagneux, à Pantin, à Ivry et à Nogent-sur-Marne. Dans cette localité, fut édifiée, au cœur du Jardin colonial qui abritait alors un hôpital militaire, la mosquée de bois desservie par les imams du «camp retranché» de Paris.

En janvier 1916, le directeur du Jardin colonial, Prudhomme, fait parvenir à divers administrations un dossier de photos des inhumations musulmanes. Une mise en scène accompagne les clichés destinée à prouver l'intérêt que les musulmans mobilisés en France pouvait porter à ces tombes marquant leur confession : on y a fait figurer des combattants musulmans décorés et/ou blessés.

tombe_musulmane_1916_Miliani_Ahmed
cimetière musulman de Pantin, tombe du soldat de 2e classe,
Ahmed Meliani, du 2e Régiment de Tirailleurs Algériens,
décédé le 20 juin 1915. La stèle est haute.

(Centre des Archives d'outre-mer, Aix-en-Provence)

 

cimeti_re_Bagneux
cimetière musulman de Bagneux, tombes de tirailleurs algériens, marocains,
et de travailleurs indigènes décédés en janvier et mars 1915. La stèle est basse.

(Centre des Archives d'outre-mer, Aix-en-Provence
)

 

plusieurs_tombes_musulmanes
cimetière musulman d'Ivry, tombes musulmanes datant de 1915.
La découpe des stèles n'est pas toujours la même. On distingue au dos de
la plus grande la mention «stèle des Amitiés Musulmanes».
(Centre des Archives d'outre-mer, Aix-en-Provence)

Ces pratiques inhumatoires du temps de guerre ont été poursuivies à partir de 1919 et dans les années ultérieures au sein des nécropoles nationales ou dans des cimetières communaux. Signalons la construction, dans le cimetière de Nogent-sur-Marne, d'une kouba destinée à honorer les soldats musulmans qui décédaient au cours de leur séjour dans les hôpitaux. Cet édifice fut inauguré le 16 juillet 1919.

Michel Renard ©

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8 septembre 2006

Projet de reconstitution de la kouba de Nogent (Michel Renard)

kouba_Nogent
la kouba du carré militaire au cimetière de Nogent-sur-Marne, édifiée en 1919

 

Projet de reconstitution

de la kouba (1919) du cimetière de

Nogent-sur-Marne

(2005)

 

J'ai adressé le dossier suivant à M. Hamlaoui Mekachera, ministre des Anciens Combattants ainsi qu'à M. Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, au printemps 2005. Ce dernier a répondu très favorablement, et le ministère à l'inverse (à suivre).

Michel Renard

 

Argumentaire historique

 

Kouba et architecture funéraire
La kouba (en arabe qubba), appelée également «marabout», est un élément additionnel d'une architecture funéraire qui se compose d'abord des tombes et de leur (éventuelle) ornementation. Le terme désigne un édifice plutôt carré surmonté d'une coupole. Dans les pays de tradition islamique, il est devenu le type même du mausolée qui peut abriter la tombe d'un pieux personnage ou seulement rappeler son esprit. La kouba peut être un monument isolé, en dehors du périmètre des nécropoles, ou bien avoir été construite à l'intérieur du cimetière.

 

Kouba de Nogent et sépultures musulmanes de 1914-1918
En métropole, l'attention au respect du culte islamique a été marquée par l'armée dès les débuts du conflit ouvert en août 1914. L'importance quantitative des décès et son impact psychologique ont conduit à adopter la solution de la tombe individuelle spécifiant la confession du défunt.
En octobre 1914, la direction de la Santé au ministère de la Guerre réglementa les formalités accompagnant le décès d'un musulman et notamment son inhumation. La tombe devait être orientée, et identifiée au moyen de deux stèles en pierre ou en bois. Elle devait porter l'inscription arabe «hadhâ qabr al-mahrûm» (ceci est la tombe du rappelé à Dieu) et la mention du nom, le tout surmonté d'un croissant et d'une étoile. Il fut difficile d'ajouter d'autres aménagements funéraires pendant la durée des combats, particulièrement dans les régions proches du front.
À Nogent, dans une zone dévolue à la convalescence des blessés musulmans, la détermination d'un diplomate permit une considération plus ostensible des traditions religieuses de l'islam.

 

Généalogie du premier édifice (1917-1919)
C'est principalement à Émile Piat que l'on doit la construction de la kouba dans le cimetière de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). Consul général (promu au grade de ministre plénipotentiaire en février 1919), il était attaché au cabinet du ministre des Affaires étrangères et chargé de la surveillance des militaires musulmans dans les formations sanitaires de la région parisienne (Nogent, Carrières, Moisselles). Sa correspondance laisse penser qu'il maîtrisait des notions d'arabe.
Émile Piat n'a pas laissé de traces écrites des raisons qui l'ont amené à choisir ce type de monument pour honorer le souvenir collectif de soldats décédés.

Mais, dans une lettre du 14 juin 1918, il explique à son ami, le capitaine Jean Mirante, officier traducteur au Gouvernement général en Algérie, les origines de son projet :
«Ayant eu l’impression que l’érection d’un monument à la mémoire des tirailleurs morts des suites de leurs blessures aurait une répercussion heureuse parmi les populations indigènes de notre Afrique, j’ai trouvé à Nogent-sur-Marne, grâce à l’assistance de M. Brisson, maire de cette ville, un donateur généreux, M. Héricourt, entrepreneur de monuments funéraires qui veut bien faire construire un édifice à ses frais dans le cimetière de Nogent-sur-Marne
Obtenant le soutien financier de la section algéroise du Souvenir Français, par l'entremise de Mirante, il reçoit une somme de 1 810 francs destinée aux frais de la décoration de la kouba. Le gros œuvre est financé et effectué par le marbrier funéraire, Héricourt. Au-delà de son architecture typique, la dimension religieuse du monument est explicite ainsi qu'en témoignent les deux versets du Coran (III, 169 et 170) devant être inscrits au frontispice après avoir été choisis par le muphti Mokrani en poste au camp retranché de Paris. L'édifice est inauguré le 16 juillet 1919.

 

Nogent tombes des coloniaux et kouba
la Kouba du cimetière de Nogent dans les années 1920

 

Disparition du premier édifice (1960-1982)
C'est à la fin des années 1950 que commence à se poser le sort des tombes musulmanes et de la kouba qui s'élève sur ce carré militaire. En 1971 et 1972, diverses démarches ne permettent pas de dégager une solution technique ni de désigner l'autorité habilitée à décider et à financer les travaux de restauration de la kouba. Pendant ce temps, l'édifice se détériore et penche. Le recteur de la Mosquée de Paris, Si Hamza Boubakeur, sollicité mais désargenté, espère en un financement public. En vain. Finalement, le 9 mars 1982, les responsables municipaux constatent «l'effondrement naturel» du monument.

 

Enjeux de la reconstitution de la Kouba de Nogent (2005)
La kouba de Nogent fut édifiée à la fin de la Première Guerre mondiale grâce à une conjonction d'initiatives : la politique de gratitude et de reconnaissance de l'institution militaire à l'endroit des soldats venus du domaine colonial, l'empathie d'un consul entreprenant et l'entremise d'un officier des affaires indigènes en poste à Alger, le soutien d'un édile communal et la générosité d'un marbrier. Cette osmose dépasse toute politique d'intérêts au sens étroit. C'est ce surplus de signification qui en fait un symbole d'une mutuelle reconnaissance qui a toutes raisons d'être rappelée aujourd'hui.

Michel Renard

 

références


Sources :

    - Centre des Archives d'Outre-Mer (CAOM, Aix-en-Provence)
    - Archives municipales de Nogent-sur-Marne
    - Archives privées familles Héricourt et Martin, marbriers à Nogent (photo kouba)

 

Bibliographie :

  • Michel Renard, «Gratitude, contrôle, accompagnement : le traitement du religieux islamique en métropole (1914-1950)», "Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial au XXe siècle", Bulletin de l'Institut d'histoire du temps présent, IHTP-Cnrs, n° 83, premier semestre 2004 (juin), p. 54-69. [sur quelques aspects des sépultures militaires musulmanes de la Première Guerre mondiale]
  • Michel Renard, «Aperçu sur l'histoire de l'islam à Marseille, 1813-1962. Pratiques religieuses et encadrement des Nord-Africains», Outre-Mers, revue d'histoire (ex-Revue française d'Histoire d'outre-mer), n° 340-341, 2e semestre, 2003, p. 269-296. [sur la kouba du cimetière Saint-Pierre à Marseille, 1944/45]

 

kouba_marseille
la kouba du "cimetière musulman" de
Marseille, édifiée sur l'initiative de J. Bourgeois,
directeur du Bureau des Affaires musulmanes nord-africaines entre 1944 et 1945
(toujours visible au cimetière Saint-Pierre)



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7 septembre 2006

versets du Coran, kouba de Nogent-sur-Marne

kouba, seule photo existante
la kouba du cimetière de Nogent-sur-Marne,
aujourd'hui disparue



versets du Coran

kouba de Nogent-sur-Marne

 

Dans les préparatifs d'édification d'une kouba destinée au cimetière des soldats musulmans décédés au cours de leur hospitalisation à Nogent-sur-Marne, le consul général Émile Piat avait envisagé de faire graver sur l'une des façades de l'édifice deux versets du Coran. Voilà comment il les cite dans sa lettre du 18 juillet 1919 au capitaine Mirante (service des Affaires Indigènes au Gouvernement général en Algérie), deux jours après l'inauguration du monument :

 

Versets_du_Coran_koubba_de_Nogent

 

 

 

 

Il s'agit des versets 169 et 170 de la sourate III :

(169) - et ne prends pas ceux qui furent tués sur le chemin de Dieu pour des morts. Oh non ! ils vivent en leur Seigneur, à jouir de l'attribution
(170) - joyeux de ce qu'Il leur dispense de Sa grâce, et d'avance contents pour ceux de leurs émules qui ne les ont pas encore rejoints : point de crainte à se faire sur eux, non plus qu'ils n'ont de mélancolie.

traduction Jacques Berque

 

Émile Piat termine sa lettre en précisant : "Ces versets, qui ont été choisis par le muphti Mokrani, ont reçu l’approbation des notables africains auxquels je les ai lus en leur apprenant qu’ils seraient inscrits sur le monument, car je n’ai pas eu encore la possibilité de les faire graver sur marbre." (source : Centre des archives d'outre-mer, Aix-en-Provence).

Michel Renard



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7 septembre 2006

la France du XIXe siècle et l'islam

Fromentin_enterrement_maure
Eugène Fromentin, Enterrement maure, 1853 (Louvre)


la France du XIXe siècle

et la représentation de l'islam

Michel RENARD

 

Fragment estompé de l'histoire nationale, les pratiques religieuses du culte musulman furent occasionnellement mais explicitement présentes en France au XIXe siècle. Résultat des nouvelles modalités du contact avec le monde arabe et musulman, ou avec l’Orient selon l'usage quelque peu confusionniste du vocable qui ne distingue pas le Machreq (Orient ottoman ou égyptien) du Maghreb (Occident nord-africain).

De quel islam s'agit-il dans cette France qui découvre à la marge le monde de l'Orient et de l'Afrique ?
Islam en provenance de la Porte, du Caire ou de la Perse. Islam colonial surgi du Nord de l'Afrique. Islam éphémère dans ses manifestations… En tout cas, un islam perdu pour la souvenance nationale. Pour autant, cet oubli ne doit susciter aucune récrimination mortifiée ni exégèse en terme d'instigation malveillante contre la mémoire d'une religion. Nulle société ne vit, en effet, avec la mémoire totale de son passé total. C'est l'actualité qui déclenche des investigations historiennes ressuscitant les facettes  négligées d'un passé plus ou moins proche et inégalement partagé.

 

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Prisonniers arabes du fort de l'île Sainte-Marguerite après 1880 (Arch. dép. 06)

 

Le XIXe siècle avait déjà enregistré un reclassement des représentations sur l'islam. De l’expédition de Bonaparte en Égypte (1798-99) aux conquêtes coloniales de la monarchie de Juillet (Algérie), du Second Empire (Faidherbe au Sénégal) et, surtout, de la IIIe République (Afrique musulmane : Mali, Niger, Mauritanie, Tchad dans les années 1880-1910 ; protectorat tunisien en 1881, puis marocain en 1912), on assiste à une redéfinition de l'image de l’«islam». Avec un usage homonymique des formes islam et islamisme, le terme même apparaît à ce moment et se substitue au «mahométan» et au «sectateur de Mahomet» qui eux-mêmes avaient remplacé «l'infidèle» médiéval.

Tour à tour, et cumulativement, se manifestent :
arabi1- l'attrait des élites modernistes arabes pour la France ; l'égyptien al-Tahtâwî [photo ci-contre], après un séjour dans la capitale, écrit en 1831 L'Or de Paris (1), «véritable répertoire de réformes» pour l'Égypte moderne selon Anouar Louca ;
- le projet de réconciliation de l'Orient et de l'Occident formulé par les ingénieurs, officiers et entrepreneurs saint-simoniens en Égypte et en Algérie ;
- les controverses sur le sort des possessions françaises dans le nord de l'Afrique (Algérie), qui ne se réduisent pas à la volonté raciste «d'exterminer» mais déclinent plusieurs définitions du rapport à l'Autre y compris l'impulsion d'une curiosité humaniste, qui mène à ce que Raoul Girardet a nommé, pour la période ultérieure de l'entre-deux-guerres, «l'école de l'humanisme colonial» et qui engendre également une arabophilie, une indigénophilie ainsi qu'une islamophilie d'admiration pour la religion d'une civilisation séculaire ;
- la promotion par la philosophie d'Auguste Comte du monothéisme islamique que ses qualités préparent, selon le maître, à «l’adoption décisive de la religion universelle» (le positivisme) ;
ill_delacroix_sultan- l'exaltation romantique de l'orientalisme, qu'il soit littéraire avec Lamartine, Théophile Gautier, Nerval, Hugo, Flaubert…, ou picturale avec Delacroix [ci-contre], Chassériau, Fromentin…; la fascination idéaliste du romantisme fut cependant accompagnée, dans la plupart des cas, d’une exotisation-dévalorisation de l’islam comme religion, d’un éloge de l’esprit de Croisade et de la supériorité du christianisme ;
- les projets de Royaume Arabe formulés par Napoléon III, conseillé en cela par Ismaïl Urbain qui écrit en 1860 L'Algérie pour les Algériens ; Royaume dont on espérait voir Abd el-Kader assumer la direction.

 

 

 

RenanUn élan d'exploration savante s'attache au monde de l'islam ainsi qu'en attestent les nombreux articles du Journal Asiatique (2). À l'inverse, l'orientalisme savant de Renan alimente une vision très dépréciative. L'islam y est défini comme «l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie : Dieu est Dieu» (3).

Ce jugement a supplanté une première approche, provenant de voyageurs et de militaires, qui avait étéHugo_1860 plutôt bienveillante. Ainsi, Victor Hugo [ci-dessous] croit-il connaître quelque chose des croyances religieuses musulmanes :
«Le Koran dit que la durée du jour du jugement dernier sera de cinquante mille ans» (4). Ou encore :
«Les thalebs ont coutume de dire : le paradis de la terre se trouve dans trois choses : sur le dos d'un cheval, entre les seins d'une femme ou dans la méditation d'un livre. Voici une parole de Mahomet qui n'est pas dans le Koran, mais qui est dans la mémoire de tous les cavaliers du désert : tous les biens de ce monde, jusqu'au jour du jugement, seront pendus aux crins qui sont entre les yeux des chevaux» (5).

Dans le domaine de l'urbanisme, la société parisienne affiche un attrait pour le vocabulaire et les figures de l'architecture orientaliste indistinctement dite «islamique» :
«La large diffusion de l'orientalisme dans les réalisations publiques contribue à son introduction, à partir du portrait_BaudrySecond Empire, dans l'architecture privée. (…) Par l'accumulation de détails vaguement islamiques, cette architecture se rapproche plutôt des "turqueries". (…) Les derniers années de l'orientalisme architectural sont marquées par trois réalisations exceptionnelles. Le fumoir de l'hôtel d'Edmond de Rothschild, l'appartement d'Ambroise Baudry [ci-contre] et l'hôtel de Delort de Gléon sont en effet des œuvres uniques, témoignant du respect des règles architecturales et décoratives de l'architecture islamique. (…) Au moment où sont créées ces œuvres originales, la mode orientaliste se répand dans les hôtels de l'élite de la IIIe République en adaptant les solutions retenues dans l'architecture publique. Elle est ainsi confinée aux fumoirs et aux jardins d'hiver, nouveaux lieux de détente et de plaisir qui conquièrent les hôtels particuliers» (6).

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Tout cela, alors qu'à l'extérieur des frontières une politique impériale se cherche : intervention au Liban (1860), velléités de contrôle de l’Égypte du Khédive après le percement du canal de Suez (1869) [photo ci-contre], relations diplomatiques avec la Porte ottomane ou le Shah de Perse, administration d’un empire colonial et multiples fronts de la «question indigène» dans les colonies (quelle forme de domination adopter : assimilation, association, protectorat…?). Une expansion française, comme le note Henry Laurens, qui passe de la politique «arabe» de Napoléon III à la politique «musulmane» de la IIIe République (7).

Michel Renard

 

1 - Traduction française par Anouar Louca, L'Or de Paris, relation de voyage, 1826-1831, Sindbad, 1988.
2 - «Les études islamiques en France au XIXe siècle», Clément Huart, Journal Asiatique, 1922.
3 - Discours d'ouverture du cours de Renan au Collège de France : «De la part des peuples sémitiques dans l'histoire de la civilisation», 21 février 1862, in Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? Presses Pocket, "Agora", 1992, p. 198.
4 - Victor Hugo, Choses vues, Quarto-Gallimard, 2002, p. 271 (7 octobre 1846).
5 - Victor Hugo, Choses vues, op. cit.  p. 365, cité par Franck Laurent in Victor Hugo face à la conquête de l'Algérie, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 26.
6 - Résumé (site internet) d'une thèse de l'École des Chartes soutenue par Lorraine Declety (2001) : La représentation de l'architecture islamique à Paris au XIXe siècle. Une définition de l'orientalisme architectural.
7 - Henry Laurens, Orientales II. La IIIe République et l'Islam, Cnrs éditions, 2004. L'auteur annonce «une étude des rapports entre la République et l'Islam, qui ne soit pas bornée à la qualification de "politique coloniale" comme si ce qualificatif suffisait à épuiser tous les sens de cette expérience» (p. 10).

 

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6 septembre 2006

lettre adressée à M. Hamlaoui MEKACHERA

22011_tn

 

 









projet de reconstitution de la kouba

de Nogent-sur-Marne

lettre adressée à M. Hamlaoui Mekachera

9 mai 2005

 

M. Hamlaoui Mekachera
Ministre délégué aux Anciens Combattants
37, rue de Bellechasse - 75007 Paris

 

Monsieur le Ministre,
L'importance que vous avez accordée à célébrer la mémoire des combattants de l'armée française, dans la diversité de leurs origines, et à insérer leur souvenir dans la conscience collective de la nation gagne à être saluée.
Elle mérite la gratitude des citoyens attentifs à l'histoire de la France et des hommes de tous horizons qui ont lié leurs noms et leurs sacrifices à son destin.
C'est la raison pour laquelle j'ai l'honneur de vous soumettre un projet de reconstitution de la kouba du cimetière de Nogent (1919).
Ce monument, aujourd'hui disparu, honorait le dévouement et la mort, au cours de la Première Guerre mondiale, de soldats musulmans provenant de l'espace colonial français.
Au cours de mes recherches, j'ai pu établir l'histoire de cet édifice :
- la kouba du cimetière de Nogent fut inaugurée en juillet 1919 grâce aux efforts d'Émile Piat, consul général attaché au cabinet du ministre des Affaires étrangères et chargé de la surveillance des militaires musulmans dans les formations sanitaires de la région parisienne.
- le gouvernement de la République fut pleinement engagé dans la démarche ainsi qu'en témoigne la présidence de l'inauguration par M. Fabre, sous-secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur en présence des délégués de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc.
- cette œuvre avait reçu le soutien du maire de Nogent, Émile Brisson, qui fit voter le 23 décembre 1917 par le Conseil municipal de cette ville, la délibération décidant de l'érection du monument. Elle fut également appuyée par Jean Mirante, des Affaires Indigènes au Gouvernement général d'Algérie, qui obtint une aide du "Souvenir français".
- ce monument fut élevé, à ses frais, par M. Héricourt, marbrier funéraire à Nogent dont le descendant, M. Martin, est toujours en activité dans cette commune et attaché au geste de son aïeul.
- dans les années 1970, elle était vétuste et en voie de dégradation, puis s'est effondrée en mars 1982 ; le sort malheureux de la kouba de Nogent est lié aux aléas de démarches administratives qui n'ont pas permis de désigner les autorités habilitées à décider et à financer sa restauration.
- la solution existe cependant puisque par une lettre du 17 février 1972, le ministère des Anciens Combattants envisageait sa participation financière à la réfection du carré militaire qui abritait l'édifice.
La reconstitution de la kouba du cimetière de Nogent-sur-Marne incomberait légitimement au ministère des Anciens Combattants et à la Délégation à la Mémoire et à l'Information historique qui assurent la mise en valeur des lieux de mémoire et l'entretien du patrimoine.
Elle marquerait comment la République assume, par-delà le temps, son devoir de mémoire à l'égard de tous ceux qui ont laissé leur vie pour défendre ses idéaux.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes salutations les plus respectueuses.

Michel Renard
professeur d'Histoire

 

kouba, seule photo existante
la kouba du carré militaire au cimetière de Nogent-sur-Marne, édifiée en 1919

 

 

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