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islam en France, 1830-1962

islam en France, 1830-1962
  • Pratiques religieuses musulmanes, Mosquée de Paris, Si Kaddour ben Ghabrit, histoire coloniale et islamophilie, Société des habous, jeûne de ramadan, aïd el-kebir, aïd el-sgheir, cimetière musulman, Sainte-Marguerite
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islam en France, 1830-1962
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26 février 2024

accueil et sommaire de ce blog

Kouba Marseille 1945
kouba du cimetière de Marseille, 1945

 

 

Histoire de l'islam en France

1830-1962

 

9647430
cimetière musulman de l'île Sainte-Marguerite, au large de Cannes, XIXe siècle

ouverture de ce blog : lundi 28 août 2006
 
Catégories

 28990907

Articles spéciaux sur le blog Études Coloniales

 

un blog de Michel Renard

  contactez l'auteur

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Msq Paris début années 1930

 

La présence musulmane en France est l'enfant de la conquête coloniale de l'Algérie. Des prisonniers de l'île Sainte-Marguerite, entre 1841 et 1884, aux premiers émigrés kabyles d'avant 1914 et jusqu'aux contingents de Nord-Africains des années 1950 et 1960, les Algériens représentent l'élément humain le plus nombreux qui reproduit en exil les pratiques religieuses musulmanes.

Sans ostentation et sans le secours de ses clercs savants, l'islam des ouvriers et petits marchands d'Algérie en France s'est exprimé par la prière et les fêtes rituelles, par le jeûne du mois de Ramadan, par la solidarité communautaire, par l'exaltation d'une identité perçue comme momentanément dominée mais riche de son passé idéalisé.

Jusqu'au début des années 1970, il est resté massivement un islam du rite et de la foi, plutôt extérieur aux formulations politiques qui étaient accaparées par l'organisation nationaliste (Étoile Nord-Africaine, puis PPA et MTLD, avant le FLN). L'expérience du mouvement des Oulémas en métropole (1936-1938) est ainsi restée sans beaucoup d'impact.

Mais l'islam de métropole ne doit pas qu'à l'Algérie. Ses manifestations architecturales, qu'elles soient funéraires ou sanctuarisées avec quelques édifices du culte, relèvent d'initiatives institutionnelles : après l'ambassade ottomane à Paris qui obtient l'enclos musulman et la «mosquée» dans le cimetière du Père-Lachaise (1857), l'armée française est à l'origine d'une attention généralisée aux rituels d'inhumation musulmans à partir de l'automne 1914, et ensuite par la réalisation mémorialo-commémorative des nécropoles militaires et des carrés musulmans dans les cimetières.

La Mosquée de Paris, élément phare de l'islamophilie française, trouve ses origines dans le croisement des intérêts diplomatiques de la France en tant que «grande puissance» arabo-musulmane, et des projets de milieux indigénophiles attachés au respect des croyances religieuses des Arabes musulmans qu'ils soient sujets ou protégés du domaine colonial.

L'Institut musulman de la Mosquée de Paris (1926) s'est incarné, jusqu'en 1954, dans la figure emblématique de Si Kaddour ben Ghabrit, né algérien, entré dans la carrière diplomatique comme agent du quai d'Orsay dès 1892, directeur du protocole du Sultan du Maroc et président de la Société des Habous des Lieux saints de l'Islam, première personnalité musulmane de métropole.

Michel Renard

 

défilé devant Missiri
mosquée de Fréjus, la "Missiri"

kouba, seule photo existante
la Kouba de Nogent-sur-Marne, dans les années 1920

 

__________________________________

 

6649932   9782253088530FS

 

 - Michel Renard, auteur de deux contributions dans cet ouvrage collectif.

- présentation sur ce site

- commander l'Histoire de l'islam et des musulmans de France

 _________________________________________

 

6637445
la Mosquée de Paris, 15 mai 2004

6511330
l'Hôpital franco-musulman, ouvert en 1935

 

 

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6 mai 2019

le cimetière musulman de l'île Sainte-Marguerite (Cannes) : sommaire

 

alignement tombes entrée princ
alignement des tombes à partir de l'entrée principale
décembre 2004 © Michel Renard

 

 

le cimetière musulman

de l'île Sainte-Marguerite (Cannes)

 

aquarelle île Sainte-Marguerite jpg
aquarelle, Michel Breton

 

Sommaire des articles consacrés au cimetière musulman de l'île Sainte-Marguerite

et à ses sépultures (XIXe siècle)

 

  • Nouvelle enquête de terrain sur l'île Sainte-Marguerite, avril 2005 (Michel Renard)

 

  • Les prisonniers arabes de l'île Sainte-Marguerite et le cimetière musulman, Michel Renard

 

Chemin et végétation 1
chemin et végétation de l'île Sainte-Marguerite
décembre 2004 © Michel Renard

 

 

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4 mai 2019

l'île Sainte-Marguerite, un épisode oublié de l'histoire coloniale

Buttura, Prisonniers musulmans à l'île Sainte-Marguerite
Ernest Buttura, Prisonniers musulmans à l'île Sainte-Marguerite, prob. 1880

 

l'île Sainte-Marguerite,

un épisode oublié de l'histoire coloniale

Michel RENARD (2013)

 

L’île Sainte-Marguerite, aujourd’hui ? À quinze minutes de Cannes en bateau. Une végétation aux noms magiques : pins d’Alep, chênes verts, lentisques, eucalyptus, cyprès… L’ancien fort royal, le sémaphore, le Musée de la Mer, réservent quelques heures de visites et de randonnées aux touristes plus ou moins intéressés par les aspects historiques, mais fascinés par cet écrin préservé ; et des stages de formation à des adultes et à des adolescents qui dorment en dortoirs, installés sur le sol de pierre de bâtiments-casernes, vestiges d’une époque révolue…

cellules
façade des cellules du fort de l'île Sainte-Marguerite ©

Mais qui se souvient que, par-delà le Masque de Fer (1687-1698), les pasteurs protestants après la révocation de l’édit de Nantes (1685) et le général Bazaine quelques mois de 1873-1874, plusieurs centaines de détenus algériens ont erré dans les froides cellules du fort, arpenté les allées de cette île pendant des années sans espoir d’en échapper ?  Sans espoir ? Les archives livrent pourtant le cas d’une évasion. Le prisonnier Mohamed ben Guezouaou, arrivé le 3 octobre 1849, noté comme négociant de son état dans la province d’Alger, appartenant à la tribu des Aghouass.

Les Européens qui auraient pu témoigner des conditions d'internement de ces musulmans, ont fréquenté l'île Sainte-Marguerite quand il n'y en avait pas : Mérimée (octobre 1834) et Victor Hugo (fin de l'été 1839) ont visité l'île avant la présence de prisonniers algériens, Maupassant (1884) peu après. Mais ici le roman n'a donc pu produire d'aveux. Quant au séjour de Bazaine, il coïncide apparemment avec une absence de détenus arabes.

Il ne reste donc que l’ethnographie de terrain et les archives pour en savoir davantage : les archives conservées à Aix-en-Provence (ANOM) ou les fonds déposés aux Archives départementales à Nice. Divers ouvrages ont évoqué ces prisonniers arabes. Le plus récent, Cannes, l’amour azur, de Richard Chambon (2011) fournit quelques chiffres corrects mais incomplets. Le livre de Jean-Jacques Antier, Les grandes heures des îles de Lérins (1975) est honnête mais comporte des lacunes sur l’importance quantitative des détenus. Par contre, le roman Aïcha de Benoît Ronsard (1995) avance un chiffre de «dix mille hommes, femmes et enfants arrêtés, presque par hasard, par le duc d'Aumale (…) déportés, oubliés, enterrés là…». Ce n’est pas exact.

 

Des archives prolifiques et les raisons de cette déportation

La population carcérale algérienne présente sur Saint-Marguerite fut la plus nombreuse sur une durée de plus quarante ans, avec des éclipses cependant. Et il y a une certaine injustice à ne pas le savoir suffisamment ni à en faire référence en ces temps inflationnistes de mémoires.

Les archives ont été d’abord été exploitées par le savant et regretté Xavier Yacono dans son article «Les premiers prisonniers de l'île Sainte-Marguerite», Revue d'histoire maghrébine, 1974, p. 39-61. Les fonds qu’il a en partie consultés sont profus en informations.

Quand, après ce pionnier, je m’y suis plongé à mon tour, j’ai découvert des dizaines de cartons d’archives contenant des centaines de pièces diverses. On peut consulter des registres nominatifs de départs vers Sainte-Marguerite ou des états nominatifs des prisonniers arabes présents sur l’île, des états d‘effectifs faisant le point sur les arrivées, les décès, les élargissements. On lit avec une certaine émotion des indications telle que : «enfant à la mamelle»…

On peut compulser différents rapports entre ministères, par exemple celui de la Guerre, des Colonies et du Gouvernement général d’Alger. On peut suivre les diagnostics et observations des médecins ayant séjourné sur l’île comme le docteur Warnier à l’été 1843, ou le docteur Bukojemski en 1845, qui y resta quatre mois et demi. Ce que notait le docteur Bukojemski, ce qui l’intéresse, c’est que ces Arabes :

«sont nés dans une autre partie du monde, leur religion, leurs mœurs, leurs habitudes, toute leur éducation physique et morale jusqu'à leur langue et leurs habits qui diffèrent essentiellement de ceux des Européens, et l'influence morale, de l'exil sur ces hommes».

Cette cassure géographique et cette désagrégation des prisonniers ont été délibérées : elles entrent dans les buts de guerre des conquérants. L’aspect principal est d’ordre psychologique : la rupture brutale avec l’Algérie, avec la famille et les traditions, l’isolement relationnel. Le docteur Warnier, en 1843, énonce, lucidement :

«Les événements militaires accomplis depuis trois ans en Algérie, ont prouvé qu'il ne suffisait pas de vaincre les Indigènes, de brûler leurs moissons, d'anéantir leurs troupeaux par d'immenses razzias, pour soumettre des populations aussi nomades et leur faire accepter notre domination. (…) convaincu de cette vérité, [Bugeaud] comprit qu'un élément de conquête devait être ajouté à tous ceux qu'il a si habilement employés, et propose au gouvernement la déportation en masse comme moyen final, pour les tribus qui dans les provinces forment des centres politiques, qui soumises aujourd'hui, sont demain révoltées, et avec lesquelles il n'y aura de repos qu'après les avoir expulsées du pays soumis ou à soumettre».

île Sainte-Marguerite, Giletta (1)
prisonniers arabes sur l'île Sainte-Marguerite, 1881-1882

 

Combien de détenus sur cette île de Lérins ?

Il est difficile de parvenir à un total exact. Mais les archives livrent des données statistiques sur l’ampleur des déportations. Un rapport du Génie de Toulon révèle qu’une première installation avait eu lieu dès 1837 dans le fort qu’on avait entouré d’un palissadement.

En 1843, le docteur Warnier note que : «Le fort de l'Île Sainte-Marguerite est depuis trois ans le lieu unique de dépôt de tous les prisonniers arabes déportés en France».

D’après les relevés de l’historien Yacono, en août 1841, on compte trois prisonniers, puis neuf autres ; en 1842-1843, il y en 80. Mais 43 sont libérés avant juin 1843.

D’après les archives que j’ai examinées, la smala d’Abd el-Kader, arrivée le 26 juin 1843, se chiffre à 290 personnes. L’Émir n’y figure pas. En septembre 1843, il y aurait un total de 530 détenus. On conçoit qu’à partir de ce moment, il est impossible de confiner tout le monde dans le fort. En août 1845, on redescend à 288. En septembre 1846, 747. En avril 1847, je crois que le maximum est atteint avec 843 incarcérés… ! Ceux-ci ont accès à certains secteurs de l’île.

contrôle nominatif, 1er oct 1847
contrôle nominatif des prisonniers arabes,
dépôt de l'île Sainte-Marguerite, 1er octobre 1847

Entre 1859 et 1868, on note une absence d’Algériens sur l’île qui fait face à Cannes. Le dépôt a été transféré à Corte en Corse. Mais en 1868, le ministère de l’Intérieur veut récupérer Corte pour y installer les convalescents des établissements agricoles de la Corse. Les Arabes retournent donc sur la plus grande île de Lérins.

L’histoire coloniale, entre-temps, se mêle alors au sort des entreprises militaires de Napoléon III. De nombreux convalescents de la guerre de Crimée sont installés dans un hôpital temporaire sur l’île en 1856. Trente y meurent et sont inhumés au cimetière d’Orient. Puis six cents prisonniers autrichiens sont internés au fort au cours des guerres d’Italie.

Les déportations d’Algériens recommencent en 1868 avec les condamnés de la révolte orientale de la Kabylie en 1864. Et parmi les mille condamnés de 1871, 250 sont affectés à Sainte-Marguerite en octobre 1871. Les archives indiquent la présence de détenus jusqu’au début des années 1880. Peut-être des prisonniers Khroumirs après la campagne de Tunisie en 1881.

Arabes prisonniers, 1840-1850
Arabes prisonniers à l'île Sainte-Marguerite, 1840-1850, AD 06

 

Détails sur les conditions de vie des prisonniers arabes sur l’île

Reclus dans un premier temps dans les cellules froides de la forteresse, les réprouvés, ayant dû traverser la Méditerranée pour subir leur peine, purent se déplacer dans les allées de l’île et même se baigner ; ce qui choqua une partie des Cannois qui voyaient, dit-on, leurs corps nus… Des lettres de protestation pour outrage à la pudeur ont été retrouvées, datant de 1882 (AM Cannes, 4J4).

La nourriture était frugale. On leur dispensait du couscoussou – comme on disait.

Les maladies ne les ont pas épargnés : fièvres, céphalines, affection pulmonaire, affection des viscères, nostalgie et hypocondrie, exostoses du système osseux. Mais encore des cas de gale, d’hémoptysie, de dysenterie, etc. L’hospice-hôpital de Cannes leur dispensait parfois des soins (AM Cannes, 3Q15).

Enfin, les décès étaient traités en observance des rites musulmans. L’intendant militaire Baron rapporte le 8 août 1845 que :

«Les inhumations se font par les arabes et suivant leurs cérémonies : les 10 francs alloués sont employés à acheter le calicot qui sert d'enveloppe au corps. Ils recouvrent la fosse de morceaux de bois et de terre glaise, et y jettent quelquefois de l'essence de rose».

Une question reste encore posée : une stèle du cimetière musulman de l’île porte cette dédicace : «à nos frères musulmans morts pour la France». Elle n’est pas datée, et sans aucune indication de propriété. Bien évidemment les prisonniers musulmans inhumés sur l’île ne sont pas morts pour la France, mais sont bien des contestataires de la conquête et de l’ancien ordre colonial.

Cela semblerait résulter d’une confusion avec des engagements militaires pour la France de population d’origine arabe, postérieurement à la période qui nous occupe, au XXe  siècle.

inscription stèle, 28 avril 2005
«à nos frères musulmans morts pour la France» ©

 

Michel Renard
publié dans Un siècle de vie cannoise, 1850-1950,
archives municipales de Cannes, éditeur : Ville de Cannes,
2014, p. 118-121.

 

entrée cimetière musulman, 28 avril 2005
entrée du cimetière musulman de l'île Sainte-Marguerite, 28 avril 2005 ©

 

 

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24 janvier 2018

recherche Mohammed Miraoui, mort le 30 mai 1918

fiche MRIAROUI Mohammed mort en 1918

 

 

recherche de Mohammed Miraoui

mort le 30 mai 1918, disparu

 

 

message du 24 janvier 2018

bonjour je cherche la tombe de mon grand pere mort dans la guerre 14 18. Il sappelle Miraoui Mohamed es ghiere musulman d'Algerie. Merci de me contacter au 0769179401.

 

réponse

Mohammed Miraoui Sgheir est mort le 30 mai 1918 à Saint-Euphraise, dans la Marne.

Sa fiche, disponible sur le site Mémoire des hommes, indique qu'il est considéré comme "disparu".

Il y a donc fort peu de chances qu'on puisse un jour identifier le lieu de son inhumation, ni même savoir s'il a été enterré.

 

fiche MRIAROUI Mohammed mort en 1918

 

 

Cependant, j'ai fini par trouver le Journal de Marches et d'Opérations (JMO) de son régiment, en ligne sur internet :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/inventaires/ead_ir_consult.php?a=4&ref=SHDGR__GR_26_N_II

 

JMO Miraoui position dans le déroulé
voilà comment y accéder

 

Cliquer ci-dessous, c'est direct :

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YToxMDp7czoxMDoidHlwZV9mb25kcyI7czo3OiJhcmtvX2lyIjtzOjg6ImltZ190eXBlIjtzOjM6ImpwZyI7czo0OiJyZWYwIjtzOjQ6IjMxMDAiO3M6NDoicmVmMSI7czoxOiI2IjtzOjQ6InJlZjIiO2k6NDM0MDtzOjQ6InJlZjMiO3M6NzE6IjFHTS9KVU5JVEVTMTQxOC9MT1QwNi8yNl9OXzg0NF8wMDQvU0hER1JfX0dSXzI2X05fODQ0X18wMDRfXzAwMDFfX1QuSlBHIjtzOjQ6InJlZjQiO3M6NzE6IjFHTS9KVU5JVEVTMTQxOC9MT1QwNi8yNl9OXzg0NF8wMDQvU0hER1JfX0dSXzI2X05fODQ0X18wMDRfXzAwNTFfX1QuSlBHIjtzOjE4OiJpZF9hcmtfZWFkX2ZhbWlsbGUiO2k6MDtzOjE2OiJ2aXNpb25uZXVzZV9odG1sIjtiOjE7czoyMToidmlzaW9ubmV1c2VfaHRtbF9tb2RlIjtzOjQ6InByb2QiO30=#uielem_move=624%2C73&uielem_islocked=0&uielem_zoom=35&uielem_brightness=0&uielem_contrast=0&uielem_isinverted=0&uielem_rotate=F

 

 

JMO 1er Rgt Marche Tirailleurs 1917-1918

 

JMO 1er Rgt Marche Tirailleurs 1917-1918 intérieur

 

Le nom de Miraoui apparaît deux fois :

  • comme sous-lieutenant affecté à la 9e Compagnie (en milieu de page).

 

mention de Miraoui 9e Cie

 

  • comme "blessé" dans les combats du 29 mai au 3 juin (en haut de la page).

 

mention de Miraoui blessé

 

Cette dernière mention est intéressante puisqu'elle ne correspond pas à la mention "disparu" qui figure sur sa fiche.

Mais il est difficile d'en tirer une conclusion assurée. Les combats ont fait rage et les Français n'étaient pas en bonne posture, ils ont subi de nombreuses pertes. Il est possible qu'une certain confusion ou imprécision se reflète dans le JMO.

On a pu le noter comme "blessé" sans vérification rigoureuse, alors qu'il était disparu. La certitude absolue ne peut provenir de ce document. Mais, c'est peut-être une piste.

Michel Renard

 

26 janvier 2018

 

Je viens de trouver l'Historique du 1er Régiment de Marche de Tirailleurs algériens, sur le site Gallica de la BnF :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6335699h/f1.item.r=

 

Il contient quatre pages de photos d'officiers de ce régiment ayant perdu la vie au cours de la guerre. Dans la quatrième page, parmi les "sous-lieutenants", figure le portrait de Mohamed Miraoui !

 

Miraoui Mohamed 1918
Mohamed Miraoui, mort en 1918,
sous-lieutenant du 1er régiment de Marche de Tirailleurs algériens

 

Historique 1er rgt Marche Tirailleurs (1)
Historique du 1er régiment de Marche de Tirailleurs algériens

 

Historique 1er rgt Marche Tirailleurs (2)
Historique du 1er régiment de Marche de Tirailleurs algériens

 

Historique 1er rgt Marche Tirailleurs (3)
Historique du 1er régiment de Marche de Tirailleurs algériens

 

 

 

 

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9 août 2015

photographies du lieutenant-colonel Chérif Cadi (1867-1939)

Chérif Cadi livre JYBC (1)
(source : livre de Jean-Yves Bertrand-Cadi)

 

 

le lieutenant-colonel Chérif Cadi

(1867-1939)

photographies : portraits et livre

 

Chérif Cadi frères d'armes (1) - 1
Chérif Cadi (1867-1939)

 

Chérif Cadi livre JYBC (3) - 1
septembre 1916 (source : livre de Jean-Yves Bertrand-Cadi)

 

Chérif Cadi livre JYBC (2)
le  lieutenant-colonel (depuis le 15 octobre 1916) Chérif Cadi et des officiers anglais à Rabegh
(nord de Djeddah) (source : livre de Jean-Yves Bertrand-Cadi)

 

Chérif Cadi dans vidéo
Chérif Cadi, dans la vidéo de Bernard Lama

 

Chérif Cadi avec Fayçal et SKBG (1)
été 1926, troisième à partir de la droite, Fayçal ben Abdelaziz Al Saoud (1906-1975), à Paris :
à sa droite, assis, Chérif Cadi ; debout, Si Kaddour ben Ghabrit ;
les trois autres personnages porteurs d'un ghutra cerné d'un igal blanc enserré dans deux anneaux noirs de face,
sont des membres de l'entourage de Fayçal qui effectuait sa première visite officielle en France ;
le civil et le militaire français sont à identifier

 

J'avoue ma perplexité devant ces deux dernières photographies. Elles sont peu ressemblantes avec celles qu'on trouve dans l'ouvrage de Jean-Yves Bertrand-Cadi (ci-dessus)... Mais je peux en fournir aucune explication, pour l'instant. La source de ces clichés que j'avais mise en lien a disparu.

 

 

le livre de Chérif Cadi (1926)

 

Terre d'Islam couv (1)
Terre d'Islam, de Chérif Cadi, paru en 1926

 

Terre d'Islam table des matières (1)
Terre d'Islam, de Chérif Cadi, table des matières

 

 

le livre de Jean-Yves Bertrand-Cadi sur le Chérif Cadi (2004)

 

Chérif Cadi livre JYBC couv -

 

Chérif Cadi livre JYBC 4e couv

 

 

Michel Renard

 

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9 juillet 2015

images filmées de l'inauguration de la Mosquée de Paris, 1926

Pathé inaug (1)

 

 

l'inauguration de la Mosquée de Paris

vue par la société British Pathé, 15 juillet 1926

 

 

Pathé inaug (2)

 

Quelques images de l'inauguration de la Mosquée de Paris, le 15 juillet 1926, en présence du sultant du Maroc, Moulay Youssef, et du président de la République française, Gaston Doumergue.

 

Sultan Of Morocco & Cuts (1926) : https://youtu.be/CA591N_I4kE

 

Pathé inaug (3)
autour du grand patio

 

Pathé inaug (4)
autour du grand patio

 

Pathé inaug (5)
autour du grand patio

 

Pathé inaug (6)
autour du grand patio

 

Pathé inaug (7)
autour du grand patio

 

Pathé inaug (8)

 

Pathé inaug (9)
autour du grand patio

 

Pathé inaug (10)

 

Pathé inaug (11)

 

Pathé inaug (12)

 

Pathé inaug (13)

 

Pathé inaug (14)

 

Pathé inaug (15)

 

Pathé inaug (16)

 

Pathé inaug (17)

 

Pathé inaug (18)

 

Pathé inaug (19)

 

Pathé inaug (20)
de gauche à droite, le sultan Moulay Youssef, Gaston Doumergue, un général, Si Kaddour ben Ghabrit

 

Pathé inaug (21)

 

Pathé inaug (22)

 

 

 

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3 janvier 2013

confrérie Alawiya en France

Shaikh_Sayidna_Ahmed_Al_Alawi
cheikh Ahmad al-Alawî

 

la tariqâ Al-Alawiya en métropole

 

disciples Alawiya 1924
les disciples Alawiya, Paris, 1924

 

- le premier foyer de la confrérie Alawiya en métropole fut créé à la suite du voyage en Europe du cheikh Ahmad al-Alawî, en 1924 à la porte de Versailles.

 

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8 novembre 2012

Si Kaddour ben Ghabrit : un "juste parmi les nations" ?

couv Mohammed Aïssaoui

 

 

La Mosquée de Paris a-t-elle sauvé des juifs

entre 1940 et 1944 ?

une enquête généreuse mais sans résultat

Michel RENARD

 

Le journaliste au Figaro littéraire, Mohammed Aïssaoui, né en 1947, vient de publier un livre intitulé L’Étoile jaune et le Croissant (Gallimard, septembre 2012). Son point de départ est un étonnement : pourquoi parmi les 23 000 «justes parmi les nations» gravés sur le mémorial Yad Vashem, à Jérusalem, ne figure-t-il aucun nom arabe ou musulman ?

Il mène une enquête, cherche des témoins ou des descendants de témoins, évoque la figure de Si Kaddour Ben Ghabrit, directeur de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris de 1926 à 1954, fait allusion à d’autres personnages qu’il a rencontrés, et plaide pour une reconnaissance mémorielle d’actes de solidarité, de sauvetage, de juifs par des musulmans durant cette période. Et pour leur reconnaissance et inscription sur le mémorial de Yad Vashem.

yad-vashem-holocaust
mémorial Yad Vashem

Cet ouvrage est fréquemment mentionné par voie de presse, avec force sympathie. Mais… rares sont les critiques, positives ou négatives, réellement argumentées. On a le sentiment que ce livre est légitime, généreux, qu’il «tombe» bien en cette période.
C'est ce que le sociologue américain Merton avait repéré dans les phénomènes d'identification et de projection même si le rapport à la réalité est totalement extérieur. Aujourd'hui, l'Arabe musulman, sauveteur de juifs, devient un type idéal auxquels de nombreux musumans ont envie de croire. La réalité n'est pas celle-ci, mais peu importe ! On reproduit la quatrième de couverture du livre (qu'on n'a pas lu), on ose quelques citations d’extraits… Mais personne ne se hasarde à une évaluation de la validité historique de sa teneur.

Compliments

Commençons par les compliments. Et pas seulement pour contrebalancer, de manière formelle, les critiques qui vont suivre… Ce livre a des qualités. Il est passionné. Mohammed Aïssaoui, tel un Tantale ne cesse de remonter le rocher contre l’oubli. Il cherche, s’évertue à prolonger les moindres pistes, ne renonce pas devant les échecs partiels, interroge et ré-interroge, fouille des archives, se déplace en France et au Maghreb. Le sujet lui tient à cœur. Il a également des qualités morales, n’hésitant pas à critiquer l’antisémitisme d’une partie du monde arabe et musulman, se sentant dépassé par la haine anti-juive et le pro-hitlérisme du mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini (1895-1974), encore considéré comme un héros par beaucoup.

Mohammed Aïssaoui est un humaniste. Il est intérieurement remué devant la modestie et la discrétion publique d’hommes ou de femmes qui devraient être considérés comme des héros. Il est sensible au moindre geste d’altruisme et de désintéressement.

Il a lu, comme moi, avec émotion et engouement le livre d’Ali Magoudi, Un sujet français (2011) sûrement frappé par «l’autopsie du silence paternel» (p. 59 du livre d'Ali Magoudi) et ses raisons profondes : «Pris par la nécessité d’occulter ses faits de collaboration, mon père a caché tout événement qui l’aurait trahi. Il a omis de nous raconter Pruszków, quitte à inventer un camp de concentration et une évasion héroïque sur un chariot de morts, version plus glorieuse qu’une libération pour cause de collaboration»(p. 328).

Sincèrement, je crois qu’il a manqué à Mohammed Aïssaoui un peu de cette réserve devant les témoignages dont Ali Magoudi a fait une tension intellectuelle sans faille. L’Étoile jaune et le Croissant veut, à tout prix, trouver des «justes parmi les nations», des musulmans qui auraient sauvé des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en France.

Quels témoins ?

Mais il n’en trouve guère. Les comptes rendus, dans la presse, disent qu’il a sollicité des «interlocuteurs célèbres comme Elie Wiesel, Serge Klarsfeld et Philippe Bouvard». Mais aucun de ces trois personnages ne témoigne en faveur d’une activité organisée de la Mosquée de Paris. Wiesel (p. 17-18) est rencontré à titre de témoin du génocide en général et de la transmission de la mémoire. Rien à voir avec la Mosquée de Paris. Klarsfeld explique que pendant quelques mois, il a eu «une mère algérienne et musulmane… appelée Mme Kader» (p. 25). Durant l’Occupation, dit-il, «elle a bénéficié de faux papiers avec un prénom et un nom arabe» délivrés «par une filière classique de faussaires» (p. 25). Donc, pas de rapport, a priori, avec la Mosquée de Paris. Plusieurs filières de délivrance de faux papiers ont existé sous l'Occupation, certaines résistantes et d'autres simplement mercantiles.

Le cas de Philippe Bouvard est différent. Son père adoptif, Jules Luzzato, juif, petit-fils de rabbin, fabriquait des costumes civils pour des déserteurs allemands. Dénoncé et arrêté, il est finalement délivré suite à une démarche de la mère de Philippe Bouvard auprès de Si Kaddour Ben Ghabrit.

«Avec ma mère, ajoutait-il, on se cachait, on a peut-être changé une dizaine de fois de domicile. Non, je ne me souviens pas que nous nous soyons cachés à la Mosquée. Mais j’y allais souvent, tout m’y semblait exotique, c’était, pour moi, le grand dépaysement en prenant simplement le métro jusqu’à Jussieu. Je pense que ce qui rapprochait ma mère et Si Kaddour, c’était la littérature, la culture et la musique. Son salon était très vivant.» (p. 68).

Geste noble de la part de Si Kaddour, mais peut-être seulement motivé par une espèce de connivence intellectuelle, une accointance de salon. Cela étant, il l’a fait.

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Si Kaddour Ben Ghabrit

Quels autres témoins, Mohammed Aïssaoui peut-il mobiliser ?  Il y a en a une, du nom d’Oro Boganim, infirmière à l’hôpital franco-musulman, dont le fils Michel Tardieu, rapporte que Si Kaddour l’a appelée un jour pour lui dire : «les Allemands sont en train de regarder les dossiers du personnel de l’hôpital, ils vont se rendre compte que tu es juive. Sauve-toi tout de suite !» (p. 43). Michel Tardieu dit que «Si Kaddour a sans doute aidé sa mère à sortir, mais je ne sais pas comment» et que son père, Noël Tardieu, français et catholique, l’a ensuite rejointe au Maroc.

Mohammed Aïssaoui cite également un auteur marocain d’une biographie de Si Kaddour, Hamza ben Driss Ottmani, évoquant le cas d’une pianiste sauvée par le recteur de la Mosquée de Paris. Elle s’appelait Georgette Astorg, son nom de jeune fille étant Zerbib : «Après s’être renseigné, Si Kaddour aurait décidé de l’abriter au sein de la Mosquée pendant quelques jours, puis aurait facilité son transfert en zone libre, à Toulouse» (p. 62).

Tout cela est peut-être vrai. Mais les preuves sont ténues et non corroborées.

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Le documentaire de Derri Berkani (1990) et ses témoins

Jusqu’alors, le poids principal des témoignages reposait sur les personnages intervenant dans le documentaire de Derri Berkani, Une résistance oubliée, la Mosquée de Paris de 40 à 44 (La Médiathèques des trois mondes, 1990)… que j’ai eu la prescience d’acheter moi-même quand on le trouvait encore à la librairie de l’Institut de Monde Arabe il y a quelques années…

Le témoin principal justifiant une activité de sauvetage d’envergure de juifs par la Mosquée de Paris était Albert Assouline. Ce dernier, abrité lui-même par la Mosquée sous l’Occupation avait déjà parlé de tout cela en 1983. Mohammed Aïssaoui le cite (c’est aussi dans le documentaire filmé) : «Pendant toute la dernière guerre, la Mosquée de cessa d’apporter son aide à la résistance contre l’Allemagne nazie. Pas moins de 1732 résistants trouvèrent refuge dans ses caves : des évadés musulmans mais aussi des chrétiens et des juifs. Ces derniers furent de loin les plus nombreux» (p. 105). Le chiffre de 1732 serait établi à partir des cartes de rationnements distribuées par la Mosquée. Quelles sources à cette affirmation quantitative… ?

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Albert Assouilne

La même année, Albert Assouline livrait ce témoignage dans le bulletin Les Amis de l’Islam, n° 11, 3e trimestre (disponible aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis à Bobigny) : «C'est dans le sous-sol de cette Mosquée si paisible jusqu'alors que, pendant l'occupation nazie, se réfugièrent de nombreux hommes, femmes et enfants ; beaucoup d'entre eux étaient des juifs d'Afrique du Nord, des communistes ou des francs-maçons que le gouvernement de Vichy avait mis hors-la-loi, sans compter des évadés d'Allemagne et des aviateurs anglais. L'accueil réservé à une fillette de 12 ans nommée Simone Jacob n'a pas été oubliée : elle est devenue Simone Veil.»

Tout cela est invérifiable et même en partie démenti. D’où vient ce chiffre de 1732 cartes de rationnements ? Comment la Mosquée se les aurait-elle procurées ? Qui en aurait bénéficié ?

 

Personne n’a jamais témoigné

Personne n’a jamais témoigné avoir été abrité dans ces caves ou sous-sols de la Mosquée. Dalil Boubakeur répond à Mohammed Aïssaoui : «Il y a bien des caves ! Mais pas de sous-sols censés communiquer avec la Bièvre ! Quand je suis arrivé, j’ai bien trouvé un panneau sur lequel était indique le mot "ABRI", une protection dans les sous-sols en cas de bombardements de Paris par les avions alliés. La confusion vient peut-être de là… C’était un refuge réquisitionné pour la population du quartier pendant l’Occupation, mais impossible d’abriter là-dessous 1700 personnes» (p. 77).

Quant à Simone Veil qui aurait été sauvée par la Mosquée de Paris, selon Albert Assouline, Dalil Boubakeur répond : «C’est [l’imam Mohamed Benzouaou] qui serait à l’origine de la fable selon laquelle Simone Veil a été sauvée par la Mosquée de Paris» (p. 100).

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stèle de Mohhmed Benzouaou au cimetière de Bobigny (photo MR, mars 1998)

De mon côté, j’avais remarqué depuis longtemps l’impossibilité chronologique de ce «sauvetage» de Simone Veil par la Mosquée et lui avais écrit à ce sujet. Je l’avais déjà mentionné allusivement et sans trop de précision. Mais voici sa lettre. Elle m’avait répondu :

- «Je vous remercie d’avoir pris soin de vérifier cette affirmation qui vous a paru contradictoire avec les éléments biographiques me concernant qui figurent dans le livre de Maurice Szafran. En effet j’ai eu l’occasion à diverses reprises de démentir la rumeur et les écrits de M. Assouline selon lesquels j’aurais été cachée à la Mosquée de Paris.
Née à Nice, j’ai toujours vécu dans cette ville jusqu’à mon arrestation le 30 mars 1944, à l’exception de quelques déplacements très brefs à Paris avant la guerre pour rendre visite à des membres de ma famille.
À l’exception du transfert de Nice à Drancy au début du mois d’avril 1944, je ne suis jamais allée à Paris pendant la guerre. Tout ce que je peux dire des écrits de M. Assouline, c’est qu’il n’est pas théoriquement impossible qu’une fillette de 12 ans, portant les mêmes nom et prénom ait été effectivement cachée à la Mosquée.
N’ayant pas les coordonnées de M. Assouline (je ne savais d’ailleurs pas jusqu’à ce jour qu’il était à l’origine de cette information inexacte), je n’ai jamais pu rétablir la vérité. Je vous serais obligée, si vous en avez l’occasion de bien vouloir le faire.» (lettre de Simone Veil, du 8 février 2005).

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Simone Veil

Le témoignage d’Albert Assouline n’est donc pas crédible et doit susciter la méfiance de l’historien. Comme le dit le recteur Dalil Boubakeur, il s’agissait d’un homme «au cœur très généreux, très imaginatif» (p. 81). Peut-être trop imaginatif ?

Le documentaire de Derri Berkani, comme le film d'Ismël Ferroukhi, Les hommes libres (septembre 2011), mettent en avant la figure du chanteur juif Salim (Simon) Halali qui aurait été sauvé grâce à la délivrance d’une attestation de musulmanité délivrée par Si Kaddour qui aurait fait modifier l’inscription d’une stèle funéraire au cimetière musulman de Bobigny pour y porter le nom de Halali. Mohammed Aïssaoui, dans son livre, précise qu’il a cherché cette tombe et ne l’a pas trouvée : «Par acquit de conscience, je me suis rendu au cimetière de Bobigny. Il est impossible de savoir si un jour il y a eu ici une tombe au nom du père de Salim Halali. La légende est belle, mais est-elle vraie ?» (p. 108).

De mon côté, dans mes investigations sur les inhumés du cimetière musulman de Bobigny, devenu aujourd’hui cimetière intercommunal, je n’ai jamais rencontré de Halali.

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vue partielle du cimetière musulman de Bobigny (photo MR, mars 1998)

 

Que reste-t-il ?

Mohammed Aïssaoui a trouvé des archives – que j’ai lu et enregistrées il y a déjà longtemps déjà… mais pas encore publiées – relatives à l’activité de la Mosquée de Paris entre 1940 et 1944. Il les cite mais n’en tire guère de conséquence logique.

Quand Si Kaddour Ben Ghabrit est plus ou moins accusé de collaboration en 1944, il rédige et fait rédiger en septembre trois notes remises au capitaine Noël, officier d’ordonnance du général Catroux : l’une de lui-même, l’une de Rageot, consul de France au ministère des Affaires étrangères et l’autre de Rober Raynaud, chargé des fonctions de secrétaire général de l’Institut musulman depuis 1926 par le même ministère des Affaires étrangères (Mohammed Aïssaoui cite en partie la première).

Or, à aucun moment, ces trois mémoires en défense ne font allusion à ce sauvetage massif de juifs et de résistants dont la Mosquée aurait été l’auteur. Le seul axe de parade est d’expliquer comment Ben Ghabrit a su jouer des demandes allemandes sans les satisfaire.

Comme l’explique Rageot : «À ces dispositions successives des autorités d'occupation, comment y a-t-il été répondu par la Mosquée?
Tout d'abord et d'une manière générale, par les façons courtoises et la correction absolue du directeur et du personnel. Je dois dire que j'ai moi‑même été tenu au jour le jour exactement informé de ce qui se passait, coups de téléphone, demandes d'audience, conversations, démarches, etc... et que M. Ben Ghabrit et moi nous sommes régulièrement concertés sur l'attitude à observer et les réponses à faire. Nous ne pouvions demeurer invulnérables qu'à deux conditions : rester sur le terrain religieux et nous abstenir de toute politique. M. Ben Ghabrit y a parfaitement réussi.

Sur le terrain cultuel, en multipliant son aide et ses soins aux musulmans, prisonniers ou civils qui ont afflué à la Mosquée chaque année de plus en plus nombreux.

Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la Mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Ben Ghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes.» (Archives Nationales).

Au vu de la prudence ici rapportée, et de la surveillance dont la Mosquée faisait l'objet par les autorités allemandes, il semble difficile d'imaginer ces centaines de sauvetage, ces allées et venues... qui n'auraient jamais donné lieu à des arrestations.

 

Quelques erreurs

Mohammed Aïssaoui commet parfois quelques confusions. Par exemple entre la Brigade Nord-Africaine, la branche policière du Service de surveillance et de protection des Indigènes nord-africains, de la rue Lecomte, créée en 1925, et le «Comité Musulman de l'Afrique du Nord» créé par l’algérien musulman collaborateur El-Mahdi sous l’Occupation (p. 147-149).

Autre imprécision. L’échaudoir musulman (p. 130). Je raconterai cette histoire ailleurs. Mais le contentieux date d’avant la guerre. La Préfecture avait accordé, sans formalisme administratif un agrément pour l’exploitation d’un échaudoir (lieu de sacrifice rituel pour les musulmans) dès le 12 juin 1939 à Si Ahcène Djaafrani, leader de la confrérie Al-Alaouia à Paris depuis des années.
En fait, cette autorisation fut officiellement attribuée à la Mosquée de Paris, seul organisme musulman reconnu officiellement par les autorités métropolitaines. Mais cette substitution d’attribution fut conflictuelle. Et il est vrai que Si Kaddour n’usa point que d’arguments moralement dignes… Mais la police n’a pas grand chose à lui reprocher. En tout cas, cela n’a rien à voir avec la collaboration.

 

«pas de témoins directs»

Finalement Mohammed Aïssaoui, non seulement n’a pas été capable de fournir, au terme de sa quête, de témoignages vraiment irréfutables, mais il a même en partie déconsidéré ceux qui existaient préalablement (Salim Halali, Albert Assouline…) – ce que je savais déjà…. Et il avance, en plus, la preuve (p. 93-96) que Ben Ghabrit n’a pas toujours répondu en faveur de juifs dont le Commissariat aux Questions Juives lui demandait s’ils étaient musulmans ou non. Jean Laloum, chercheur au CNRS, a publié un article à ce sujet dans Le Monde du 7 novembre 2011.

Mohammed Aïssaoui finit par reconnaître : «Je n’ai pas à proprement parler de témoins directs» (p. 171). D'ailleurs l'auteur ne mentionne qu'allusivement, et sans jamais s'appuyer sur lui, le film Les hommes libres d'Ismaël Ferroukhi (septembre 2011) parce qu'au terme de son enquête il sent bien que cette production est totalement fictionnelle et ne repose sur rien de tangible.

Au final, la probabilité de vérité historique de sauvetage de juifs par la Mosquée de Paris se réduit peut-être à quelques cas – pour lesquels, cependant, aucune preuve ne peut être fournie sans conteste et sans croisement de sources – due à l’intervention personnelle de Si Kaddour Ben Ghabrit dont les motivations restent obscures.
Des présomptions mais pas de preuves. Jamais le personnage n’a revendiqué, après guerre, ces interventions. Si Kaddour Ben Ghabrit n’a pas été un collaborateur mais il est, pour le moment du moins, quasiment impossible de le considérer comme un «juste parmi les nations».

Michel Renard
7 novembre 2012

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Mohammed Aïssaoui

 liens

- http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2011/10/09/22292189.html

- http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/07/la-mosquee-de-paris-sous-l-occupation_1599082_3232.html

- http://etoilejaune-anniversaire.blogspot.fr/

 

couv Mohammed Aïssaoui

 

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précisions

 

1)

Mon collègue et ami Maxime Gauin me signale ceci à propos de la mention de musulmans au mémorial de Yad Vashem :

- «Son point de départ est un étonnement : pourquoi parmi les 23 000 "justes parmi les nations" gravés sur le mémorial Yad Vashem, à Jérusalem, ne figure-t-il aucun nom arabe ou musulman ?» S'il a vraiment écrit ça, c'est un ignorant. Selahattin Ülkümen (1914-2003), consul de Turquie à Rhodes pendant la Seconde Guerre mondiale a été reconnu comme Juste parmi les nations en 1990. http://www1.yadvashem.org/yv/en/righteous/stories/ulkumen.asp Un dossier est en cours pour l'ambassadeur turc à Paris, le consul à Marseille et quelques autres. 65 Albanais (en majorité musulmans) ont été faits Justes parmi les nations en 2010 : http://www.amb-albanie.fr/press.html

 

2)

 - sur la Brigade Nord-Africaine (à venir, MR)

 

 

 

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10 avril 2012

délire anti-"illuminati"...

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manipulation et délire :

sur un prétendu symbole "illuminati"

à la Mosquée de Paris

Michel RENARD

 

Il circule depuis quelques semaines une vidéo affirmant que le minaret de la Mosquée de Paris comporte un symbole "illuminati". Après avoir visionné cette vidéo, je suis choqué et en colère contre l'indigence intellectuelle de l'auteur et la manipulation à laquelle il a procédé...!

1) l'essentiel de cette vidéo est constitué de ma propre parole...! recueillie par interview dans le documentaire "Musulmans de France, de 1904 à nos jours" (France Télévisions, 2009) ; entretien accordé à Mohamed Joseph qui était venu  chez moi l'année précédente.

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J'y explique seulement le paradoxe POLITIQUE d'un projet de mosquée à Paris soutenu par le Parti radical, dont une bonne partie est effectivement affiliée à la franc-maçonnerie. Mais le président du conseil, Édouard Herriot, qui inaugure la Mosquée le 16 juillet 1926 n'a jamais été franc-maçon, lui...!

Je n'ai jamais parlé d'influence occulte dans le décor architectural de la Mosquée de Paris...! Pourquoi utiliser, à mon insu, mon propos pour me faire dire l'opposé de ma pensée ?!

2) le triangle n'est pas une forme géométrique ignorée du décor islamique, même s'il est rarement représenté seul. Sa symbolique hérite du nombre 3 et est à la base de la mesure de l'espace par le procédé de triangulation bien connu des mathématiciens et astronomes arabes au Moyen Âge.
Le triangle est l'une des trente-sept pièces à géométrie simple utilisé par les zelligeurs dans les décors de mosaïque.

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le triangle, une des figures géométriques des zelliges

 

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le triangle, une des figures géométriques des zelliges


Au Maroc, les pierres tombales des souverains saadiens, à Marrakech, sont constitués d'une dalle surmontée d'un élément à base triangulaire.

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Et dans le décor des muqarnas, la forme du triangle termine souvent une pièce modulaire.

On trouve aussi des triangles, à la Mosquée de Paris, sur le décor du minbar offert par la Tunisie à l'époque...

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minbar offert par la Tunisie

 

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en voilà des triangles...


Il faut arrêter la paranoïa qui voit des symboles "illuminati" partout...!

Michel Renard

 

- le tableau des figures géométriques est issu du livre Arabesques. Art décoratif du Maroc, Jean-Marc Castera, ECR Éditions, 1996, p. 114-115.

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critique et réponse

Il ma été répondu, le 14 avril : "Ce triangle a le sommet séparé du reste donc rien à voir avec votre description."

Voici ma réplique (15 avril) :

La comparaison de ce motif décoratif inséré dans le creux du mur du minaret de la Mosquée de Paris et l'image figurant sur le billet d'un dollar américain est infondée. Pourquoi ?

L'image reproduite sur le dollar n'est pas une pyramide dont le sommet serait séparé par le halo des rayons d'une lumière rayonnante. En réalité, il y a deux éléments distinctifs : une pyramide tronquée dont la tridimensionnalité est signifiée par la vision de deux faces de l'édifice, et un triangle qui ne peut être le sommet de cette pyramide parce qu'il n'est pas tridimensionnel. C'est une figure triangulaire plate enfermant l'œil de la connaissance.

Sur le minaret de la Mosquée de Paris, on distingue deux éléments. À la base, ce n'est pas une pyramide, parce que se combinent deux types de lignes : des lignes obliques et des lignes verticales. Or, une pyramide ne comporte pas de lignes verticales.

Par ailleurs, le triangle supérieur ne peut, lui non plus évoquer le sommet d'une pyramide parce qu'il ne comporte aucune tridimensionnalité. On dirait plutôt une toile de tente canadienne…

Reste la question de savoir ce que signifie cette insertion en creux dans la pierre… Cela ne semble pas redevable d'une nécessité fonctionnelle. Seulement d'une intention décorative. Mais laquelle ?

Je continue à chercher. En tout cas, l'interprétation "symbole illuminati" est réduite à néant. La comparaison avec l'image du dollar ne tient pas debout. Il s'agit d'une sur-interprétation, d'un abus analogique.

Michel Renard
après discussion avec Jean-Marc Castera
auteur de Arabesques. Art décoratif du Maroc, ECR Éditions, 1996.

 

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10 octobre 2011

la Mosquée de Paris sous l'Occupation, 1940-1944 - DOSSIER

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Résistance à la Mosquée de Paris :

histoire ou fiction ?

 Michel RENARD

 

Le film Les hommes libres d'Ismël Ferroukhi (septembre 2011) est sympathique mais entretient des rapports assez lointains avec la vérité historique. Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.

Mais prétendre que la Mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire.

Mon travail en archives depuis des années, me permet de rectifier ces exagérations et de ramener la réalité à ce qu'elle a eu de plus banale.

Le recteur Si Kaddour Ben Ghabrit fut une incontestable personnalité franco-musulmane ayant joué, au service de la diplomatie française et la défense des intérêts musulmans, un rôle primordial dès le début du siècle. Il entre dans les cadres du ministère des Affaires étrangères dès 1892. Kaddour Ben Ghabrit a su dépasser le dualisme de la confrontation et expérimenté la combinaison des cultures et des dynamiques de civilisation. Pièce maîtresse de la réalisation de la Mosquée de Paris, de 1920 à 1926, il l'a ensuite dirigée jusqu'à sa mort en 1954. Quel fut son rôle sous l'Occupation ?

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Si Kaddour ben Ghabrit et le prince Ratibor

Il n'a pas été un collaborateur, n'ayant fourni aucun renseignement, aucune aide ni à l'armée ni à la police allemande, pas plus qu'aux services de Vichy collaborationnistes. Il n'a pu éviter ni les demandes d'audience ni quelques photos prises notamment lors de la remise à ses fonctions premières de l'Hôpital franco musulman en février 1941 en présence du prince Ratibor, représentant allemand de la place de Paris. C'est tout.

Mais il a refusé toute photo prise dans l'enceinte de la Mosquée, comme il a habilement repoussé tout appui à une déclaration du mufti de Jérusalem, collaborant avec l'Allemagne nazie, pour un appel au soulèvement des peuples musulmans colonisés par la France et la Grande-Bretagne. Il s'est toujours réfugié derrière la distinction du religieux et du politique. À la Libération, il fut accusé par certains d'avoir été complaisant avec les Allemands. Et a dû se défendre.

Or, j'ai découvert les rapports écrits par Si Kaddour Ben Ghabrit lui-même, par Rageot, consul de France au ministère des Affaires étrangères, chargé depuis 1940 de suivre les affaires de la Mosquée de Paris, et par Rober Raynaud, secrétaire général de l'Institut musulman depuis sa création. Ces écrits furent remis au capitaine Noël, officier d'ordonnance du général Catroux à l'Hôtel Intercontinental le 22 septembre 1944. Ils concernent tous l'activité de la Mosquée sous l'Occupation.

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le général Catroux

Voici le témoignage de Rageot : "Je dois dire que j'ai moimême été tenu au jour le jour, exactement informé de ce qui se passait, coups de téléphone, demandes d'audience, conversations, démarches, etc... et que M. Ben Ghabrit et moi nous sommes régulièrement concertés sur l'attitude à observer et les réponses à faire. Nous ne pouvions demeurer invulnérables qu'à deux conditions : rester sur le terrain religieux et nous abstenir de toute politique. M. Ben Ghabrit y a parfaitement réussi.
Sur le terrain cultuel, en multipliant son aide et ses soins aux musulmans, prisonniers ou civils qui ont afflué à la Mosquée chaque année de plus en plus nombreux. Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la Mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Ben Ghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes."

Par contre, aucun de ces mémorandums ne mentionne la moindre activité de résistance, ce qui aurait constitué – si cela avait été vrai – la meilleure défense contre l'accusation de collaboration.

La seule mention d'une activité de résistance organisée et systématique en faveur des juifs et d'autres (communistes, francs-maçons) par la Mosquée de Paris provient d'un témoignage postérieur et unique, celui d'Albert Assouline, aujourd'hui disparu. Il a écrit dans le Bulletin des Amis de l'islam, n° 11, 3e trimestre 1983, déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis. Mais ce n'est pas une "archive".

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le Dr Albert Assouline, image tirée du documentaire de Derri Berkani (1990)

Il a ensuite réitéré ses affirmations dans le documentaire, Une résistance oubliée… la Mosquée de Paris, 40 à 44 dû à Derri Berkani en 1990. Mais Assouline ne parle pas de réseaux de résistance et ses propos empathiques sur des centaines de personnes abritées et sauvées sont suspects aux yeux de l'historien qui cherche à confronter les témoignages et à les recouper. Je pourrai prouver qu'il se trompe sur un point précis concernant le sort d'une importante personnalité française qui n'a jamais été accueillie par la Mosquée contrairement à ce que dit Assouline. De toute façon, jamais aucun témoin n'a corroboré ses dires.

L'activité de la Mosquée de Paris sous l'Occupation a essentiellement consisté à assurer les ablutions, ensevelissements et obsèques de 1500 musulmans décédés à leur domicile, dans les hôpitaux, les prisons ou les sanas ; à distribuer des denrées, des secours et vêtements aux indigents, aux prisonniers libérés, évadés ou en situation irrégulière. Des repas ont été servis tous les vendredi au restaurant de la Mosquée, réservés plus spécialement aux prisonniers musulmans en traitement dans les hôpitaux et en instance de libération.

Trois fêtes musulmanes ont été célébrées chaque année : Aïd-Es-Seghir, Aïd-El-Kebir et Mouloud. Ces fêtes ont toujours revêtu un caractère purement religieux et aucun élément étranger à l'Islam n'a été autorisé à assister à ces manifestations. Les imams de la Mosquée de Paris se rendaient fréquemment en province pour assister aux obsèques de militaires musulmans prisonniers de guerre etc...

Mais ces histoires d'évasions rocambolesques par les souterrains de la Mosquée et les égouts menant à la Seine relèvent d'une littérature à la Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Pas de la réalité historique. Il est quand même surprenant que la fiction l'emporte à ce point sur la vérité. On ne manie pas impunément le réel historique. 

Michel Renard, historien, chercheur
Co-auteur de Histoire de l'islam et des musulmans en France
(Albin Michel, 2006)
et Histoire de la Mosquée de Paris (à paraître chez Flammarion).

 

- cet artucle a été édité sur le site Rue89 : http://www.rue89.com/2011/10/01/resistance-a-la-mosquee-de-paris-histoire-ou-fiction-224418, le 1er octobre 2011

 

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- Daniel Lefeuvre a fait parvenir cette autre critique au site Rue89 qui ne l'a pas publiée...

 

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"Les hommes libres"

et les approximations historiques

Daniel LEFEUVRE

 

La sortie, mercredi 28 septembre 2011, du film Les hommes libres s’accompagne de la diffusion d’un dossier pédagogique, destiné aux professeurs de collège et de lycée. L’objectif est assumé : susciter des sorties scolaires et transformer une œuvre, ô combien de fiction comme le démontre l’historien Michel Renard, en «document» historique[1].

Pour asseoir auprès du public et du monde enseignant la crédibilité historique du film, le metteur en scène s’est attaché la participation de Benjamin Stora dans la rédaction de ce dossier. Dès lors, il n’est pas déplacé d’en mesurer la pertinence scientifique. Et, autant le dire tout de suite, certaines affirmations de Benjamin Stora laissent stupéfait.

Ainsi, comment peut-il affirmer que «dans l’Algérie de l’époque, les Algériens musulmans n’avaient pas la nationalité française. Ni Français, ni étrangers : ce sont donc des "hommes invisibles" qui n’auraient donc "aucune existence juridique ou culturelle"» ?

 

Pas Français, les Algériens musulmans ?

On peut admettre que B. Stora ignore que, dès les années 1840, la nationalité française a été reconnue aux Algériens musulmans – comme d’ailleurs aux Juifs de l’ancienne Régence – par plusieurs arrêts de la Cour supérieure d’Alger qui rappelle, en 1862, que «tout en n’étant pas citoyen, l’Indigène est Français»  et de la Cour de Cassation qui stipule que «la qualité de Français est la base de la règle de leur condition civile et sociale». Il est, en revanche, incompréhensible qu’il ignore  le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 qui confirme que «l’indigène musulman est Français».

Bien d’autres dispositions, dans le droit du travail, comme l’accès à la plupart des emplois à la fonction publique (à l’exception de quelques fonctions d’autorité), consacré par la loi Jonnart de 1919 ou l’intégration des travailleurs algériens dans la sphère de protection de la main-d’œuvre nationale du 10 août 1932, etc. suffisent à démontrer que les Algériens disposent bien de la nationalité française.

Autre confirmation : répondant à une enquête prescrite en juillet 1923 par le ministre de l’Intérieur sur «la situation des indigènes originaires d’Algérie, résidant dans la métropole[2]», le préfet de Paris avoue son incapacité à fournir des informations détaillées car, contrairement aux étrangers, les Algériens, «sujets français», ne sont astreints «à aucune déclaration de résidence, ni à faire connaître leur arrivée ou leur départ».

D’ailleurs, au grand dam du gouverneur général de l’Algérie, qui s’en plaint auprès du ministre de l’Intérieur, certaines municipalités, principalement communistes, n’hésitent pas à délivrer à ces Français des cartes d’électeurs !

 

Les Algériens sont-ils, en métropole, des «hommes invisibles» ?  autre assertion étonnante.

Pour le pire et le meilleur, la présence des Algériens en métropole est loin d’être invisible. Combattants aux côtés des Poilus de métropole et des Alliés, travailleurs venus complété les effectifs de l’industrie et de l’agriculture, les Algériens ont noué des liens, parfois étroits, avec les Français qu’ils ont côtoyés lors de la Première Guerre mondiale.

Cette participation à l’effort de guerre a laissé des traces, y compris dans le paysage : des tombes musulmanes sont présentes dans les carrés militaires, une kouba est édifiée, en 1919, au cimetière de Nogent-sur-Marne pour rendre hommage aux soldats musulmans morts pour la France. Enfin, l’existence de la Grande Mosquée de Paris, inaugurée par les plus hautes autorités de l’État en 1926, ne rend-elle pas visible cette présence au cœur de la capitale ?

À Paris encore, mais aussi en banlieue, le Bureau des Affaires Indigènes (BAI) de la Ville de Paris, créé en mars 1925, ouvre à l’intention des Algériens des foyers rue Leconte, à Colombes, à Gennevilliers et à Nanterre ainsi que deux dispensaires. C’est également à son initiative qu’est construit l’hôpital franco-musulman de Bobigny, inauguré en 1935, auquel est adjoint, en 1937, un cimetière musulman.

Le BAI s’est également préoccupé de l’importance du chômage qui touche de nombreux Algériens du département de la Seine, dès la fin des années 1920. Une section de placement est créée à cet effet : entre 1926 et 1930, 15 130 chômeurs ont bénéficié de son concours.

Progressivement, ses activités se sont élargies : assistance juridique aux accidentés du travail pour faire valoir leurs droits et obtenir le versement des indemnités ou des rentes auxquelles ils peuvent prétendre (1 534 dossiers traités) ; démarches en vue du versement des primes de natalité et indemnités pour charges de famille (9 696 dossiers). On peut estimer insuffisante l’ampleur de l’action entreprise, en particulier en matière d’habitat.

On peut également trouver, dans cette sollicitude des autorités parisiennes à l’égard des Nord-Africains du département de la Seine, une volonté de contrôle – sanitaire et politique – et pas seulement l’expression de sentiments philanthropiques. Mais, outre qu’il est impossible de nier l’intérêt qu’elle a représenté pour ses bénéficiaires, en particulier pour les milliers de patients pris en charge par les dispensaires ou l’hôpital franco-musulman, elle prouve la visibilité des Algériens et l’attention que leur portent les autorités départementales.

C’est bien aussi parce qu’ils sont visibles et, à ses yeux potentiellement dangereux, que la Préfecture de Police juge utile de créer une Brigade nord-africaine quelques semaines après la création du BIA – également située rue Leconte mais qui ne se confond pas avec le BAI - chargée de surveiller, avec moins d’efficacité qu’on le prétend généralement -, les Algériens du département de la Seine.

 

Victimes du racisme de la population métropolitaine ?

Le procès, une nouvelle fois, mérite d’être instruit avec plus de nuance. Certes, des sentiments racistes se manifestent et on en trouve bien des traces, dans l’entre-deux-guerres, dans la presse de droite. Sont-ils aussi généralisés que Benjamin Stora le sous-entend ?

Laissons la parole à l’une de ces prétendues victimes de l’ignorance, du mépris et du racisme des Français. Quel souvenir garde-t-il en mémoire de sa vie à Paris au cours des années vingt ? : «Nous étions unanimes à nous réjouir de l’attitude de sympathie des populations à notre égard, et à faire une grande différence entre les colons d’Algérie et le peuple français dans leur comportement avec nous. Les gens nous manifestaient du respect et même une grande considération mêlée de sympathie.»[3]

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Messali Hadj, leader du nationalisme algérien
marié avec une Française

 

Paroles d’un «béni-oui-oui» aux ordres de l’administration ? Non. Éloge du peuple français extrait des Mémoires de Messali Hadj, le père fondateur du nationalisme algérien lui-même, que Benjamin Stora connaît bien mais qu’il semble avoir oublié le temps d’un film !

D’autres sources rapportent cette «sympathie», cette fois pour s’en inquiéter. En juillet 1919, l’administrateur de la commune-mixte de Ténès rapporte que les Algériens de sa commune, revenus de France, «ont été particulièrement sensibles aux marques d’affabilité et de politesse, quelque fois exagérées, que leur ont prodiguées nos compatriotes, ignorants de leurs mœurs et de leur esprit ; mais ces démonstrations auxquelles ils n’étaient pas accoutumés les ont conduits, par comparaison, à penser que les Algériens, les colons en particulier, n’avaient pas pour eux les égards qu’ils méritaient. Un simple khamès débarquant en France devenait un “sidi” […]. Il est donc indéniable que le séjour en France des travailleurs coloniaux les a rapprochés des Français de la métropole[4]».  

Ce «rapprochement», Genevière Massard-Guilbaud en montre un aspect dans son ouvrage Des Algériens à Lyon de la Grande Guerre au Front populaire [5] qui met en évidence une proportion particulièrement importante de mariages avec des Françaises métropolitaines, dès les années 1930. Selon cette historienne, «contrairement à l’image qu’on a donnée d’eux, les Algériens de cette époque s’intégraient mieux que d’autres en France, dans la classe ouvrière ou la petite bourgeoisie commerçante. Le grand nombre de mariages mixtes n’en est-il pas un signe ? Dans quelle communauté étrangère d’ancienneté comparable en France en rencontre-t-on autant ?»

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Dépourvus d’existence culturelle ?

On se demande alors à quoi pouvait bien répondre la Grande Mosquée de Paris et le cimetière musulman de Bobigny, si ce n’est aux besoins culturels et cultuels des musulmans du département ? Mais il existe bien d’autres manifestations[6] de cette existence et de sa prise en compte : respect par l’Armée des prescriptions en matière d’alimentation, des fêtes et des rites funéraires musulmans ; aménagement, avant la Première Guerre mondiale, par la Compagnie des mines d’Auby-les-Douai (département du Nord), d’un lieu de prière pour ses ouvriers musulmans. Benjamin Stora entre sur ce plan en contradiction avec lui-même, quand il rappelle que c’est à Paris qu’est né, avec la création en 1926, de l’Étoile Nord-Africaine, le nationalisme algérien organisé et qui regroupe, en métropole, environ 3 000 militants. N’est-ce pas là une manifestation culturelle autant que politique ? C’est à Paris, également, que sont publiés journaux et revues nationalistes. Enfin, le film et le dossier rappellent qu’il existe à Paris de nombreux cabarets «orientaux» comme le Tam-Tam, La Casbah, El Djezaïr ou encore El Koutoubia.

Enfin, Benjamin Stora affirme qu’après le débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord (novembre 1942) «coincé par les autorités allemandes qui le pressent […] de collaborer franchement», le directeur de la Mosquée a été «obligé de se soumettre».

Kaddour Ben Ghabrit collaborateur ? L’accusation est grave. Elle mériterait d’être étayée. Comment, par quels actes, par quels propos cette collaboration s’est-elle manifestée ? Dans quelles circonstances ? il ne nous le dit pas. Comment admettre une telle liberté vis-à-vis de la méthode historique qui exige, pour toute affirmation,  l’administration de preuves.

Le film et le dossier pédagogique témoignent aussi d’un angélisme confondant. Magnifiant, en l’amplifiant démesurément, le soutien que la Mosquée a pu apporter à quelques Juifs pendant l’occupation allemande, il laisse ignorer la profondeur de l’antijudaïsme d’un nombre considérable d’Algériens musulmans, qui s’est manifesté dans les émeutes qui ensanglantèrent Constantine en août 1934 et qui s’exprime tout au long de la guerre et ultérieurement.

Ainsi, en mars 1941, le CEI – équivalent en Algérie au service métropolitain des Renseignements généraux – note-t-il que «L’abrogation du décret Crémieux avait été quand elle fut connue, accueillie avec une grande joie par les Musulmans.» Cet antijudaïsme se rencontre même parmi les Algériens les plus libéraux et les plus laïques comme en témoigne cette lettre de Ferhat Abbas au préfet d’Alger, datée du 30 janvier 1943, connue de Benjamin Stora, et dans laquelle on retrouve bien des poncifs de l’antisémitisme :

- « Il me parvient de tous côtés que certains éléments importants de la population juive s’emploient à dénigrer systématiquement, auprès des Anglo-Américains, les Musulmans algériens. Je fais appel, Monsieur le Préfet, à votre haute autorité pour intervenir auprès des dirigeants israélites afin de mettre un terme à cette propagande insidieuse et malhonnête. Ce n’est pas la première fois que les juifs adoptent une double attitude et se livrent à un double jeu. Le torpillage du Projet Viollette en 1936 est encore présent à notre mémoire. Il convient, dans leur propre intérêt, de les persuader que les méthodes d’hier sont périmées et que nous nous devons, les uns et les autres, une franchise et une loyauté réciproques. Si cette franchise et cette loyauté n’étaient pas en mesure de faire de nous des amis, elles éviteraient pour le moins de faire de nous des ennemis. Et c’est beaucoup.»

Cet antijudaïsme culturel a-t-il disparu lors de la traversée de la Méditerranée ? En tout cas, de nombreux maghrébins parisiens, notamment d’anciens nationalistes – mais il faut le souligner exclus du parti par Messali Hadj dont l’attitude est, sur ce plan, irréprochable – ont collaboré avec l’occupant et les collaborationnistes français, par la propagande – en exprimant un antisémitisme violent - et comme supplétifs de la Gestapo dans la chasse aux résistants et aux juifs.

Au total, trop d’erreurs, parfois grossières, trop d’affirmations non étayées, trop de non-dits entachent ce dossier pour qu’il constitue un outil pédagogique fiable et dont on puisse en recommander l’usage aux professeurs, d’autant que, dans les documents proposés à la réflexion des élèves, la confusion est entretenue en permanence entre immigrés d’origine étrangère et Algériens, ce qui ouvre à des contresens.

Par ailleurs, je ne prête évidemment aucune arrière-pensée, ni au metteur en scène, ni à Benjamin Stora et je suis persuadé de leur entière bonne foi lorsqu’ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu’exprimer mon scepticisme à cet égard. Une autre conclusion, lourde de menaces, pourrait en être tirée, au moment même où l’Autorité palestinienne s’efforce de faire reconnaître l’existence d’un État palestinien contre la volonté d’Israël : les Juifs sont décidément bien ingrats vis-à-vis des Musulmans qui ont tant fait et pris tant de risques, sous l’Occupation, pour les sauver de la barbarie nazie.

Daniel Lefeuvre
Professeur d’histoire contemporaine, Université Paris 8 Saint-Denis

 



[1] Preuve de cette confusion, le libellé de la question n° 3, activité 3, p. 21 du dossier : «d’après le film, quelles actions les résistants maghrébins entreprennent-ils contre l’Occupant ?».

[2] Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), 9 H / 112.

[3] Cité par Benjamin Stora, Ils venaient d’Algérie, Fayard, 1992, p.15.

[4] ANOM, Alger, 2 I 49, Enquête sur l’état d’esprit des travailleurs coloniaux revenus dans la colonie prescrite par le gouverneur général, 31 juillet 1919. Réponse de l’Administrateur de la  commune-mixte de Ténès, 16 août 1919.

[5] Massard-Guilbaud Genevière, Des Algériens à Lyon de la Grande guerre au Front populaire, Paris, Ed. l’Harmattan, 1995.

[6] Sur cette question, se reporter au travail novateur de Michel Renard, notamment "Gratitude, contrôle, accompagnement ; le traitement du religieux islamique en métropole (1914-1950)", Bulletin de l’IHTP, n° 83, premier semestre 2004, pp. 54-69.

 

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 - le 4 octobre, le site Rue89 publiait une réponse de Benjamin Stora ainsi que quelques commentaires de Pierre Haski, responsable du site

 

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Benjamin Stora répond aux critiques


des « Hommes libres »
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Le film « Les Hommes libres » d'Ismaël Ferroukhi, sur la mosquée de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale, déclenche une polémique entre historiens. Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie, qui fut conseiller historique lors de la réalisation de ce film, a vivement réagi à la tribune, diffusée par Rue89 la semaine dernière, contestant la véracité du film.

Benjamin Stora nous a adressé des remarques concernant la tribune de Michel Renard, lui aussi historien, reprenant point pas point les critiques de son confrère.

Il est écrit par Michel Renard, en préambule de ce texte publié par Rue89 :

«Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.»

Benjamin Stora :

«C'est très exactement ce que montre le film “Les Hommes libres”.»

Michel Renard ajoute :

«Mais prétendre que la mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire.»

Benjamin Stora répond :

«Le film n'a jamais prétendu dire qu'il y avait un réseau organisé (ce mot n'est jamais été prononcé dans tout le film), et il n'évoque jamais le sauvetage massif de juifs et de résistants (Michel Renard doit confondre avec des articles de presse à propos du film).

Le film montre un résistant algérien (l'exemple est celui de Salah Bouchafa, ancien du PCF, qui a rejoint le PPA, est mort en déportation), et une réunion du PPA clandestin, et l'histoire d'un chanteur, Salim Halali, dont l'histoire est bien réel.

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Pour le sauvetage de juifs, il est montré deux petits enfants (sur la base de témoignages de personnages toujours vivants et qu'il est possible de rencontrer).

Si tous ces personnages ont réellement existé, alors pourquoi un article si virulent ? Ce film, à mon sens, s'inscrit dans la lignée d'autres films, comme “Le Vieil Homme et l'enfant”, de Claude Berri (l'histoire d'un vieil homme joué par Michel Simon, qui sauve un enfant juif). »

Michel Renard poursuit :

«Le recteur Si Kaddour Benghabrit fut une incontestable personnalité franco-musulmane ayant joué, au service de la diplomatie française et la défense des intérêts musulmans, un rôle primordial dès le début du siècle. Il entre dans les cadres du ministère des Affaires étrangères dès 1892. Kaddour Benghabrit a su dépasser le dualisme de la confrontation et expérimenté la combinaison des cultures et des dynamiques de civilisation.»

Benjamin Stora :

«Précisément, c'est ce que montre le film ! !»

Kaddour Benghabrit «n'a pas été un collaborateur»

Lorsque Michel Renard fait observer que Kaddour Benghabrit «n'a pas été un collaborateur», Benjamin Stora répond que c'est précisément «ce que montre le film». Même réponse lorsque Michel Renard ajoute qu'«il n'a pu éviter ni les demandes d'audience ni quelques photos prises» : «C'est ce que montre le film», répond Stora.

Plus loin, Benjamin Stora reprend un autre passage du texte de Michel Renard :

«Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Benghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes.»

Pour Benjamin Stora, «c'est ce que montre, encore, le film».

Par contre, lorsque Michel Renard fait observer qu'«aucun de ces mémorandums ne mentionne la moindre activité de résistance, ce qui aurait constitué – si cela avait été vrai – la meilleure défense contre l'accusation de collaboration», Benjamin Stora répond que « le film s'arrête en 1944».

Michel Renard poursuit :

«La seule mention d'une activité de résistance organisée et systématique en faveur des juifs et d'autres (communistes, francs-maçons) par la mosquée de Paris provient d'un témoignage postérieur et unique, celui d'Albert Assouline, aujourd'hui disparu.

Il a écrit dans Le Bulletin des amis de l'islam, n° 11, troisième trimestre 1983, déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis. Mais ce n'est pas une “archive”.

Il a ensuite réitéré ses affirmations dans le documentaire "Une résistance oubliée : la mosquée de Paris, 40 à 44" dû à Derri Berkani en 1990. Mais Assouline ne parle pas de réseaux de résistance et ses propos empathiques sur des centaines de personnes abritées et sauvées sont suspects aux yeux de l'historien qui cherche à confronter les témoignages et à les recouper.

Je pourrai prouver qu'il se trompe sur un point précis concernant le sort d'une importante personnalité française qui n'a jamais été accueillie par la Mosquée contrairement à ce que dit Assouline. De toute façon, jamais aucun témoin n'a corroboré ses dires.»

Benjamin Stora lui répond :

«Et Salim Hallali précisément ? Le film est surtout centré sur lui... Il est possible de rencontrer aujourd'hui des juifs séfarades qui ont demandé à être musulmans pendant cette période pour échapper à la mort.»

Michel Renard concluait ainsi sa tribune :

«L'activité de la mosquée de Paris sous l'Occupation a essentiellement consisté à assurer les ablutions, ensevelissements et obsèques de 1 500 musulmans décédés à leur domicile, dans les hôpitaux, les prisons ou les saunas ; à distribuer des denrées, des secours et vêtements aux indigents, aux prisonniers libérés, évadés ou en situation irrégulière. [...]

Mais ces histoires d'évasions rocambolesques par les souterrains de la mosquée et les égouts menant à la Seine relèvent d'une littérature à la Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Pas de la réalité historique. Il est quand même surprenant que la fiction l'emporte à ce point sur la vérité. On ne manie pas impunément le réel historique.»

«Un film qui montre des gestes d'humanité»

Benjamin Stora lui répond :

«La critique historique de Michel Renard de cette œuvre est infondée. Le film n'a jamais montré la mosquée comme lieu central de la Résistance. Les sauvetages sont le produit de rencontres et pas de plans idéologiques pré-établis. Si le film n'évoque que le sort d'un résistant algérien, de l'amitié entre un jeune immigré et un chanteur juif sauvé par la mosquée (tous ces personnages sont bien réels), alors pourquoi cet article si virulent contre un film qui montre des gestes d'humanité ?

Je voudrais simplement rappeler cette phrase, à propos de polémiques sur les “chiffres” : Celui qui sauve une vie sauve l'humanité toute entière."

Et Salim Hallali a bien été sauvé par la Mosquée de Paris.»

 

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Pierre Haski

Cette polémique entre deux spécialistes de l'Algérie a une toile de fond : les rapports entre juifs et musulmans en France, et la question plus large du conflit israélo-arabe.

« Les juifs sont bien ingrats vis-à-vis des musulmans »

Ce mardi, Rue89 a reçu un nouveau texte mettant en cause « les erreurs de Benjamin Stora », et signé par Daniel Lefeuvre, professeur d'histoire contemporaine, université Paris-VIII Saint-Denis. Daniel Lefeuvre se réfère à la tribune de Michel Renard, avec lequel il avait signé, en 2008, un texte commun intitulé : « Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? » (Larousse), écrit en réponse à l'opposition suscitée par la création du ministère de l'Identité nationale (aujourd'hui disparu) par Nicolas Sarkozy.

Après avoir relevé ce qu'il qualifie d'«erreurs» ou de «non-dits» du dossier historique acompagnant le film, Daniel Lefeuvre ajoute :

« Je suis persuadé de leur [Benjamin Stora et le réalisateur Ismël Ferroukhi, ndlr] entière bonne foi lorsqu'ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu'exprimer mon scepticisme à cet égard. »

Sa conclusion donne peut-être une des clés de cette polémique, puisqu'il rattache le film, et le récit du sauvetage de juifs par la mosquée de Paris, aux débats actuels autour de la Palestine :

«Une autre conclusion, lourde de menaces, pourrait en être tirée, au moment même où l'Autorité palestinienne s'efforce de faire reconnaître l'existence d'un Etat palestinien contre la volonté d'Israël : les juifs sont décidément bien ingrats vis-à-vis des musulmans qui ont tant fait et pris tant de risques, sous l'Occupation, pour les sauver de la barbarie nazie.»

C'était donc ça ? Toute cette polémique pour éviter qu'on puisse penser que juifs et musulmans aient une histoire commune ou des raisons de vivre ensemble en bonne intelligence ? Dérisoire

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- le site Rue89 a ensuite renoncé de publier le texte de Daniel Lefeuvre ainsi que ma réponse à Benjamin Stora. Voici mon texte :

 

réponse à Benjamin Stora

 Michel RENARD

 

J'ai vu le film dont je parle. Il montre plus que – même si il est centré sur…- l'histoire de Selim Halali. Si le mot "réseau" n'est pas prononcé, sa réalité est montrée.
Ces résistants cachés dans les caves de la Mosquée appartiennent à un réseau, ils organisent le sauvetage du résistant Francis en le faisant sortir de l'Hôpital franco-musulman. Ce qui fait dire à Si Kaddour qu'ils ont mis la Mosquée "en danger" (dialogue Si Kaddour / Younès). Ben Ghabrit est informé préventivement – par qui ? – de la rafle du Vel d'Hiv, comme il l'est de la descente de la police – par qui ? - ce qui lui permet de faire évacuer toutes les personnes cachées dans la Mosquée.

Selon le film, les soupçons formulés par les Allemands sur son activité le font convoquer par Knochen, représentant de Himmler à Paris… ce qui, à ma connaissance, n'a jamais été le cas.

La scène des fidèles qui se lèvent ensemble, à la demande de l'imam pour sortir entourer Younès et la fillette juive et leur permettre de s'échapper, ne correspond à rien de réel.

Benjamin Stora répond que le film s'arrête en 1944. Or, justement les rapports que j'évoque (Ben Ghabrit, Rageot et Rober Raynaud) sont rédigés en 1944 et portent sur toute la période de l'Occupation. Aucun des trois n'évoquent ces activités.

Je n'ai tout de même pas inventé la fin du film avec cette évasion de nombreuses personnes par les égouts, leur accueil sur une péniche qui les attendait… toutes choses difficilement envisageables hors l'activité d'un réseau organisé.

Le film ne dit pas explicitement que Ben Ghabrit en était l'organisateur direct mais laisse bien comprendre que la Mosquée de Paris a accueilli cette structure résistante. On imagine malaisément, dans la logique du récit de ce film, que cela fût possible sans l'accord tacite de Ben Ghabrit.

Or, il n'existe aucune preuve de tout cela. Le documentaire de Derri Berkani (1990) pêchait déjà par l'absence de preuve ainsi que le court métrage de Mohammed Ferkrane l'année dernière… Le film d'Ismaël Ferroukhi, et ses propres commentaires ("Ben Ghabrit… tout en risquant sa vie pour sauver des hommes et des femmes en danger : résistants, Juifs, indépendantistes d'Afrique du Nord…", cf. dossier de presse), offrent une vision qui dépasse le secours apporté à Selim Hallali et à des Juifs sépharades selon des "rencontres fortuites".

Il laisse penser que la Mosquée a été le lieu d'une intense activité résistante.

 

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Benjamin Stora rétorque à mon affirmation selon laquelle Ben Ghabrit n'a pas été un collaborateur : "c'est ce que montre le film". Or, dans son interview, il affime que "la Mosquée de Paris a collaboré avec le régime de Pétain et les autorités allemandes". Où est alors la vérité ?

La "virulence" (?) de ma critique ne portait pas sur les gestes d'humanité portés à quelques juifs aidés par la Mosquée mais sur tout ce qui dans le film évoquait une activité résistante dont il n'existe aucune preuve historique. Ou alors, je les attends.

Michel Renard

 

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Il est dommage, pour la "vie des idées", que le site Rue89 n'ait pas assumé le débat jusqu'au bout... Il y a encore des vérités historiques qui sont dérangeantes pour la "Gauche"... MR

 * un dossier identique a été publié sur le blog Études Coloniales

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